Halieutiká se compose en 5 parties : deux chants décrivant les poissons et de trois chants sur l'art de la pêche. Soit 3506 vers et près de 160 espèces marines cités. Parmi elles plusieurs squales dont le grand requin blanc qualifié de kētos (Cetus en latin, francisé en cétacé(e)) désignant indistinctement à l'époque les animaux marins de grande taille.
Georges Cuvier dans Histoire des Sciences naturelles depuis leur origine jusqu'à nos jours (1841) commente : "Oppien, en traitant des cétacées, nomme tous les grands animaux qui peuplent la mer tels que les lions marins, les baleines, etc. Maintenant nous ne donnons le nom de cétacée qu'aux mammifères à sang chaud qui vivent dans la mer. (...) Oppien décrit les combats qu'on livrait aux squales nommés panthères à cause des taches qu'ils ont sur le corps, et il parle à cet occasion d'énormes cétacés capables de mettre en danger les petits bâtiments".
Et Cuvier de statuer ; "Pour l'étendue et à profondeur des vues, pour les généralisations, c'est le seul homme de l'Antiquité romaine qui puisse être placé à côté d'Aristote".
Limes précise dans sa préface : "Ce n'est point sans motif, (...) que cette traduction porte pour titre les Halieutiques, c'est-à-dire le mot même employé par Oppien. Je n'ai pas cru qu'il dût suffire de l'intituler la Pêche, nom sous lequel ce poème est assez souvent désigné, parce que l'auteur y traite non-seulement de la pêche, mais même de tout ce qui concerne ce grand nombre d'animaux différents dont les eaux sont peuplées". (...) Notre poète nous retrace donc les mœurs des poissons, des mollusques, des crustacés, des cétacés, etc (...)
Oppien était un poète, et un jeune poète puisqu'il mourut vers sa trentième année. Ses connaissances en histoire naturelle, qui paraissent assez étendues pour le temps où il a vécu, étaient celles de ses contemporains et des auteurs qui l'avaient précédé. Ce n'est donc point Oppien qu'il faut accuser de quelques fables qu'on rencontre dans son poème, que nous reconnaissons aujourd'hui pour telles, mais qui, de son temps n'avaient point ce caractère, tant il est vrai que l'homme se roule, de siècle en siècle, dans un cercle toujours nouveau d'erreurs, trop heureux de ramasser de loin en loin quelque vérité qui le dédommage des trop fréquentes aberrations du reste de sa carrière".
Chant Premier (extrait)
On ne voit point sans effroi ces énormes cétacés, ces monstrueuses merveilles de l'Océan, ces immenses masses vivantes qui ont aussi une force immense : toujours en proie à une rage effrénée et meurtrière, ils vivent en grand nombre dans le vaste domaine des eaux, et de préférence dans les parties les plus reculées et les moins connues de l'empire de Neptune. Peu quittent la haute mer pour se porter sur les rivages qu'ils font gémir de leur poids ; de ce nombre sont le féroce lion (le grand phoque), la terrible zygène (requin marteau), la redoutable pardalis (roussette), l'impétueux physsale (cachalot?), la race robuste des melanthons (dauphin?), la farouche pristis (requin scie), l'épouvantable lamie (grand requin blanc), à gueule effroyable, la malthe (milandre), ainsi nommée de son humeur moins sauvage ; de ce nombre sont encore les béliers cruels (narval?), l'hyène (orque?) au poids énorme, les chiens marins, si impudemment ravisseurs, dont on forme trois races : l'une fait partie des terribles cétacés ; les deux autres sont du nombre des poissons les plus forts. Les uns sont la centrine, ainsi nommée de ses noirs aiguillons ; les autres sont appelés d'un nom commun, les galées (ou chats) qui fournissent plusieurs espèces, les skymnes (roussette), les leïes (emissole), l'acanthias (aiguillat), la riné (ange de mer), les alopès (requin renards), et ceux de ce genre à diverses couleurs : les chiens marins ont tous les mêmes mœurs et les mêmes formes ; ils vivent et se nourrissent ensemble.
Chant Cinquième (extrait) - dans lequel il est question de la pêche du cétacé, mais ou l'on comprend également qu'il s'agit ici du requin blanc.
Vous reconnaîtrez sans peine, ô mes souverains ! si vous prêtez quelque attention à ce que je vais mettre sous vos yeux, qu'il n'est rien qui résiste à l'industrie des hommes, ni sur la terre, cette mère commune, ni dans le vaste sein des mers : leur origine remonte sans doute à celle des dieux ; leur puissance seule est inférieure. Soit donc que leur race, analogue à celle des Immortels, ait été l'ouvrage du génie de Prométhée et le fruit de l'heureuse association des substances solides et liquides, soit que leur cœur porte la trempe, l'empreinte de l'essence divine et que leur existence tire sa source du sang illustre des Titans, car, nul être n'est supérieur à l'homme, si l'on en excepte les dieux, nous ne cédons qu'à eux seuls. Que d'animaux féroces des montagnes, doués d'une force énorme, son courage n'a-t-il pas domptés ! Que de races d'oiseaux élancés, errants dans les airs, à la hauteur des nues, ne sont pas tombées sous ses coups, quoiqu'il soit inhabile à s'élever de terre ! Ni l'audace terrible du lion ne l'a mis à l'abri d'en être terrassé, ni le vol rapide de l'aigle ne l'a dérobé à sa poursuite. Enchaîné par l'homme, le grand et noir quadrupède de l'Inde (l'éléphant) a subi le joug, a courbé son dos sous les poids les plus lourds, s'est soumis aux pénibles travaux du trait.
Que d'immenses cétacés vivent dans les champs de Neptune ! Loin d'être au-dessous des animaux terrestres par leur masse, ces monstres marins l'emportent de beaucoup par leur taille, par l'énergie de leurs muscles. On trouve sur le continent certaines espèces de tortues qui n'ont ni le pouvoir, ni le moyen de nuire ; on ne se présente point sans danger au milieu des flots devant la tortue de mer. Les chiens de terre sont redoutables par leurs morsures ; aucun n'est comparable dans sa fureur, à ceux de l'empire d'Amphitrite. La panthère est une des bêtes de terre les plus terribles ; celle des mers l'est bien davantage. La terre a sa cruelle hyène ; celle des ondes est mille fois plus horrible. La première a ses béliers, animaux innocents des bergeries ; ceux qui approcheront de ceux des eaux, n'auront point à se louer de leur douceur. Qui mettrait au même rang la férocité des sangliers et celle de l'exécrable lamie ? Qu'est le lion en proie à la rage la plus effrénée, à côté de l'affreuse zygène ? L'ours aux longs crins redoute même sur la terre la violence plus cruelle des phoques, et s'il en est attaqué succombe inévitablement. Tels sont les êtres à si grande puissance dont les mers sont peuplées. Toutefois la race intraitable des humains met en usage les manœuvres les mieux combinées pour parvenir à leur ruine ; ils sont vainqueurs dans les combats qu'ils engagent même avec les cétacés. Je vais dire les fatigants travaux de leur pêche. Célestes soutiens de la terre, ô mes souverains ! prêtez-moi une oreille favorable.
Les cétacés vivent en grand nombre et de grande dimension dans le sein des plus hautes mers ; ils ne s'élèvent que rarement à leur surface, retenus dans le fond par l'énormité de leur poids. Une faim toujours active, toujours impérieuse les tourmente sans cesse ; leur indomptable voracité ne connaît point de relâche. Quel serait le mets d'une grosseur suffisante pour combler le gouffre de leur vaste estomac, pour assouvir ce besoin toujours renaissant d'une nouvelle proie ? Ils se détruisent mutuellement : le plus fort donne violemment la mort au plus faible ; ils se dévorent entre eux et se servent les uns aux autres de nourriture. Trop souvent leur présence glace les nautoniers d'épouvante dans la mer occidentale d'Ibérie, lorsque quittant les abîmes immenses de l'Océan, ils se portent de préférence sur ces parages, tels que des vaisseaux à vingt rames. Trop souvent, dans le séjour qu'ils font dans ces mers, ils s'approchent des rivages à grands fonds où les pêcheurs leur font la guerre. Ces énormes habitants des eaux ont tous, si l'on en excepte ceux de la race des chiens, des membres lourds et peu propres aux courses rapides. Leur vue ne s'étend pas au loin ; ils ne se montrent pas sur toute l'étendue des ondes, embarrassés par le jeu difficile de leurs parties trop massives ; ils se roulent pesamment et avec lenteur sur les flots ; aussi vont-ils tous escortés d'un poisson de taille médiocre à corps long, à queue grêle, qui, en avant, à une petite distance, leur sert comme de signal et les conduit sur les mers ; de là le nom de conducteur (poisson pilote) qu'on lui a donné. Il est, pour le cétacé, un compagnon extrêmement cher et précieux, son guide, son gardien qui l'entraîne sans effort partout où il veut. Toujours fidèle à son fidèle conducteur, le cétacé le suit aveuglément et ne suit que lui. Le poisson ne s'en éloigne jamais, avance la queue à portée de ses yeux et l'avertit par elle de toutes choses, de l'approche d'une proie, de la présence de quelque obstacle, de quelque bas-fond qu'il est utile d'éviter. Cette queue, comme si elle jouissait du don de la voix, l'informe de tout, et le cétacé se règle sur son rapport. Enfin ce poisson est son enseigne, ses oreilles, ses yeux ; il n'entend ni ne voit que par lui ; il lui livre sans réserve le soin de sa garde et de sa vie. Ainsi qu'un jeune homme que son pieux amour fait rendre à son vieux père de tendres soins si doux à la vieillesse en retour de ceux qu'il reçut dans l'enfance, qui, toujours à ses cotés, lui prodiguant les plus touchantes caresses, guide les pas chancelants de ce père chéri dont les ans ont affaibli les organes et rendu la vue incertaine, qui, d'une main tutélaire le soutient dans sa marche et lui sert en toute occasion d'appui, de défenseur, les enfants sont en effet la force renaissante des vieillards, ainsi le poisson dirige par amour ce colosse des mers comme un pilote qui, le gouvernail en main, règle le mouvement d'un navire, soit que dès le moment de leur naissance les nœuds du sang les aient unis, soit que l'instinct libre de sa bienveillance ait attaché le poisson au cétacé.
Ainsi l'avantage d'un corps vigoureux, celui de la beauté, sont au-dessous de ceux de l'esprit. Ainsi la force sans intelligence est un don de peu de valeur. L'homme même le plus fort est vaincu, tandis qu'un autre plus faible, mais d'un heureux génie, triomphe. C'est ainsi que l'énorme cétacé, aux vastes membres, se fait précéder d'un petit poisson. Le pêcheur s'occupe d'abord de prendre ce vigilant conducteur en mettant sous ses yeux le frauduleux appât, le perfide hameçon. Tant qu'il serait vivant, le pécheur ne réussirait point, malgré tous ses efforts, à dompter le cétacé ; lorsqu'il aura tué son guide, la victoire lui coûtera moins de peines et de fatigues. L'animal, privé de son compagnon, ne voit plus d'une manière si distincte sa route sur les mers, n'évite pas si aisément les dangereux écueils. Pareil à un bateau de transport qui a perdu son nautonier, il erre au hasard et sans défense au gré des flots, se porte dans des endroits obscurs et sans abri, veuf de son guide protecteur, et va donner dans sa marche vagabonde contre les rochers et les rives, tant est épais le nuage qui plane sur ses yeux. Les pêcheurs alors, plus prompts que la pensée, volent à l'attaque en priant les dieux qui président à ce genre de pêche de favoriser leur entreprise contre les monstres d'Amphitrite. Comme un gros détachement de guerriers qui dans la nuit se portent furtivement, avec précaution, sous les murs d'une ville ennemie, qui trouvant, par une faveur signalée du dieu des combats, les sentinelles, les gardiens des portes endormis, tombent sur eux et les massacrent, de là s'élancent avec audace dans la ville même et dans le fort, armés du tison fatal prêt à réduire en cendres leurs bâtiments d'une si belle construction, ainsi la bande des pêcheurs s'avance avec confiance devant le cétacé dénué de son gardien que la mort lui a ravi. Ils cherchent d'abord à reconnaître la masse et la grandeur de l'animal ; ils s'arrêtent à ces signes : s'il ne laisse paraître au-dessus des ondes, lorsqu'il s'agite dans leur sein, qu'une très petite partie de son dos et la sommité seulement de sa tête, qui est grosse et vaste, les flots surchargés de son poids ne le soulèvent qu'à peine, ne le supportent que difficilement ; si son dos se montre d'avantage, on en augure un poids plus faible. Les moindres sont plus rapides dans leur course. Les pêcheurs ont une corde tressée de plusieurs plus petites fortement tordues, pareille au câble moyen d'un vaisseau : sa longueur sans limite a l'étendue qu'exige la pêche. Leur hameçon est un gros fer crochu hérissé des deux côtés de pointes aiguës qui se correspondent, qui seraient capables de déraciner une pierre ou quelque fragment de rocher, enfin d'une assez grande dimension pour occuper la vaste gueule du cétacé. Au manche du noir hameçon est fixée une chaîne forte et solide, dans le cas de résister aux violents efforts de ses dents, ainsi qu'aux autres défenses de sa bouche ; cette chaîne est protégée par des liens circulaires et très rapprochés les uns des autres, qui contiennent l'animal dans ses écarts et l'empêchent de rompre le fer lorsqu'il se tourmente, tout sanglant et déchiré par les plus terribles douleurs. Les pêcheurs roulent donc tout autour une corde flexible ; ils garnissent l'hameçon d'un funeste appât, de l'épaule ou du foie gras et noir d'un bœuf, mets analogue à la gueule de l'animal. Ils prennent une foule d'instruments nouvellement polis et aiguisés comme pour une bataille, des épieux forts, de robustes tridents, des harpons, d'horribles tranchants et tant d'autres sortis naguère de dessus les enclumes retentissantes des fils de Vulcain.
S'embarquant avec ardeur sur leurs navires solidement assemblés, ils se demandent par des signes et se font passer les uns aux autres en silence ce qui est nécessaire à chacun ; leurs rames muettes blanchissent l'onde amère ; eux-mêmes s'interdisent le moindre bruit, dans la crainte que le cétacé, n'ayant l'éveil de quelque dessein, ne disparaisse en se portant dans les plus profonds abîmes et que leurs travaux n'aient qu'une vaine issue. Lorsqu'ils sont assez près, ils lancent du haut de la proue vers lui le terrible hameçon. À peine voit-il cet énorme appât, il s'élance, et cédant à son irrésistible voracité, se jette sur cette proie : sa large gueule s'ouvre pour la saisir, et saisit tout ensemble le fer recourbé qui s'engage dans ses chairs, qui s'y fixe par ses pointes. Irrité de sa blessure, il avance et tourmente d'abord avec rage sa terrible mâchoire, dans l'espoir de rompre la chaîne de fer. Efforts inutiles ! Excité par les plus ardentes douleurs, il se roule précipitamment dans les gouffres les plus reculés des mers. Les pêcheurs aussitôt lui abandonnent toute la corde, car les mortels ne sont pas doués d'une assez grande force pour enlever, pour dompter malgré lui cet immense animal, qui, lorsqu'il est emporté par son impétueuse fureur, les entraînerait eux et toutes leurs galères au fond des flots. Au moment qu'il s'y plonge, ils lui envoient de grandes outres remplies d'air qui tiennent des cordes dont ils les attachent. Mis hors de lui-même par les tourments qu'il éprouve, il s'embarrasse peu de ces outres et les fait suivre forcément, quelque résistance qu'elles opposent, avec quelque effort qu'elles se portent au haut des ondes. Mais lorsque, le cœur dévoré d'inquiétude, il approche de leur fond, il s'arrête, écumant de rage et de douleur. Tel qu'un coursier qui, parvenu tout suant au terme de sa course, fatigue le mors oblique dans sa bouche remplie de son haleine embrasée et le rougit de son écume sanglante ; tel il s'arrête, poussant d'affreux soupirs. Les outres, quelque désir qui le presse, ne lui permettent point le moindre relâche au-dessous des eaux : elles remontent à l'instant même avec rapidité et jaillissent à leur surface, enlevées par l'air qu'elles renferment. Il est ainsi en butte à un nouveau genre de combat. Il s'élance, vainement ambitieux de punir de ses morsures ces outres téméraires ; elles reculent à son approche et ne se laissent jamais atteindre, semblables à des êtres vivants qui ont pris la fuite. Frémissant de fureur, il s'enfonce de nouveau dans les mers et s'y précipite en tourbillons nombreux, tantôt volontairement, tantôt malgré lui, tirant et tiré tour à tour. Comme des ouvriers en bois qui exécutent ensemble avec vitesse les travaux du sciage, pressés de finir ou quelque barque ou quelque pièce nécessaire aux navigateurs, tous deux, après avoir fixé la position de la scie, la tirent vers eux avec un égal effort tandis que ses dents s'ouvrent une nouvelle route : allant, venant des deux côtés, elle coupe, elle scie, toujours entraînée et de nouveau tirée. Telles sont les luttes qui ont lieu entre ces outres et le monstre des mers. Bouillonnant de douleur, il vomit au loin sur les flots une noire écume ; son souffle terrible mugit sous l'onde qui mugit aussi emprisonnée ; on dirait que celui de l'impétueux Borée est engouffré dans son sein. L'animal pousse son haleine avec force et violence : tour à four, les nombreux torrents de ce souffle, lancés en longs ruisseaux dans l'abîme forcent et creusent les eaux en s'y frayant une route.
Comme entre les dernières extrémités des mers d'Ionie et de la bruyante Tyrrhène, dans l'espace si resserré qui forme le détroit toujours agité par les expirations véhémentes de Typhon, l'onde grosse et rapide est tourmentée par les chocs des anfractuosités qu'elle rencontre sans cesse, et la noire Charybde tourbillonne, entraînée sur elle-même par ces reflux trop fréquents ; ainsi l'empire d'Amphitrite, mis partout en mouvement par l'immense et rapide haleine du monstre, est bouleversé jusque dans ses gouffres. Un des pêcheurs, pressant alors la rame, conduit promptement sa nacelle vers la terre, lie la corde à quelque roche de la rive et retourne comme s'il avait amarré un bâtiment avec le câble de la proue. Lorsque le cétacé, las de tant d'agitations, plongé dans l'ivresse par la douleur, sent son cœur féroce s'affaiblir, dompté par la fatigue et que les balances inclinées de l'odieuse mort l'entraînent, une des outres surgit, messagère et premier signal de la victoire. Sa présence excite une joie vive parmi les pêcheurs. Lorsqu'un héraut, aux vêtements blancs, retourne d'un combat, objet de tant d'alarmes, ses concitoyens, rayonnant d'espérance, s'empressent autour de lui, avides d'entendre à l'instant son heureux message ; de même les pêcheurs, voyant cette outre d'un présage favorable, sentent leur cœur agité des plus doux mouvements. Bientôt les outres s'élèvent et remontent à la surface des flots, amenant après elles l'énorme animal : accablé de ses douleurs et de ses blessures, il est enlevé malgré lui.
À cette vue, l'audace des pêcheurs s'allume ; ils poussent à force de rames leurs galères vers le cétacé ; la mer retentit au loin des cris et des clameurs de ces marins, qui s'appellent, qui s'excitent les uns les autres : on croirait voir les approches et les dispositions d'un combat naval, tant ils montrent d'ardeur, tant est grand le tumulte dont ils assourdissent les mers, tant ils brûlent d'impatience de fondre sur le cétacé. Le chevrier gardant ses troupeaux, le berger faisant paître ses brebis dans la vallée, le bûcheron frappant le pin de sa cognée, le chasseur poursuivant les bêtes féroces, entendant au loin ce bruit étrange et funeste, se rendent étonnés vers le rivage et, se plaçant sur une éminence, s'établissent spectateurs des rudes travaux de ces hommes, de leur combat sur les ondes, de l'épouvantable issue de cette pêche.
L'horrible et mortelle attaque commence. Quelques-uns des pêcheurs mettent en œuvre l'affreux trident, les autres l'épieu à pointe aiguë, ceux-ci font mouvoir les faux au dos courbe, ceux-là frappent de la hache tranchante ; tous sont occupés, tous armés de fers redoutables les dirigent contre la vaste mâchoire du cétacé ; ils le parcourent aussi tout autour frappant, blessant, accablant de coups sans relâche ce malheureux animal. Abandonné de son immense force, il ne peut plus, quel que soit son désir, écarter de sa gueule ces bâtiments ennemis dont il est assiégé. Toutefois, en s'agitant dans l'onde, ses énormes nageoires ou l'extrémité de sa queue leur impriment encore un choc terrible du côté de la poupe et rendent vains une dernière fois les travaux des rames, l'effort guerrier des pêcheurs ; semblable à un vent impétueux qui pousse contre la proue d'un navire les vagues irritées et contraires. On entend les cris confus de ces marins qui retombent sur l'animal ; la mer est souillée du sang noir que vomissent ses cruelles blessures, l'onde en bouillonne et en est rougie. Ainsi lorsqu'une terre rouge et ocreuse, détachée par les torrents d'hiver de la cime rouge des monts et fondue dans leurs eaux est entraînée par l'impétuosité de leur chute dans le sein grossi des mers, les flots d'Amphitrite sont chargés au loin de cette teinte rougeâtre et paraissent entachés de sang ; ainsi cette partie du domaine de Neptune est maintenant rougie et mêlée de celui qui jaillit des nombreuses blessures du monstre. Les pêcheurs, par des jets adroitement dirigés, font pénétrer un poison dans ces plaies ; l'onde même, par le sel dont elle est imprégnée, devient brûlante pour elles comme le feu, et conspire à précipiter sa mort. Lorsque la foudre, lancée par le maître en courroux des dieux frappe un navire qui sillonne la mer et y fait un affreux ravage, l'onde amère, se joignant à ces horribles feux, ajoute la violence de ses chocs à ceux de ces carreaux embrasés ; de même l'élément liquide par les substances qui s'y dissolvent enflamme, irrite davantage les plaies cruelles, les terribles tourments du cétacé.
Mais lorsque accablé sous le poids de tant d'intolérables maux, il touche au milieu des plus rudes angoisses, aux portes du trépas, les pêcheurs ravis de joie le tirent chargé de liens sur le rivage : il est entraîné malgré lui toujours percé de fers acérés, de robustes épieux, chancelant et dans l'étourdissement, dans la fatale ivresse de la mort. Les pêcheurs, entonnent alors le grand Péan de la victoire, balançant les rames de leurs bras vigoureux, s'abandonnent aux plus vifs transports, et dans le temps qu'ils pressent leurs navires, remplissent les airs de leurs chants rauques et aigus. Lorsque après un combat naval, les vainqueurs enchaînant les vaisseaux de leurs ennemis, portent à la hâte et pleins d'allégresse sur la terre ceux qui les montaient et chantent le bruyant, le joyeux Péan de leur victoire navale, les vaincus suivent forcément et dans la tristesse en cédant à l'impérieuse nécessité ; de même les pêcheurs après avoir enchaîné le monstre le remorquent sur le rivage. Lorsqu'il est près d'y toucher, c'est alors le trop réel et terrible moment de sa mort : il palpite, il bat l'onde de ses nageoires frémissantes comme un oiseau qui s'agite et se débat aux autels contre la mort prête à en faire sa proie. Infortuné ! qui soupire sans doute après des eaux d'une plus grande profondeur. Son énorme puissance est anéantie, ses membres engourdis n'obéissent plus ; il est entraîné sur la terre poussant d'affreuses haleines. Ainsi que des nautoniers qui, voulant aux approches de l'hiver se reposer de la fatigue de leurs courses maritimes, retirent du sein des mers, conduisent sur la terre un gros navire de transport et n'y parviennent qu'au prix des plus rudes travaux, ainsi les pêcheurs amènent avec effort sur la rive le monstrueux cétacé. Toute la grève est couverte de ses immenses membres gisants. Étendu, mort, il est même horrible à voir : quoiqu'il ait cessé de vivre, quoiqu'il soit couché sur le sol, on n'ose s'avancer trop près de son informe cadavre ; on le craint encore lorsqu'il n'existe plus ; on frémit encore après son trépas à la vue des dents dont ses terribles mâchoires sont armées. Enfin les pêcheurs, s'animant entre eux, se réunissent autour de cette masse inanimée qu'ils ne voient même qu'avec effroi. Les uns considèrent l'épouvantable charpente de ses mâchoires, le triple rang de ses dents saillantes en fer de lance très rapprochées, à pointes nombreuses et aiguës ; d'autres se plaisent à toucher ces cruelles blessures, dont leurs instruments meurtriers ont accablé le monstre : ceux-là regardent avec étonnement cette épine tranchante de son dos hérissé d'atroces aiguillons ; ceux-ci attachent leurs regards sur sa queue, d'autres sur son ventre à si vaste capacité, d'autres sur son énorme tête. L'un d'entre eux en voyant cet horrible tyran des mers, plus habitué à passer sa vie sur le continent que dans l'empire d'Amphitrite, prononce ces mots qui sont entendus de ceux de ses compagnons dont il est entouré : "Terre amie, qui prends soin de me nourrir, tu m'as donné l'existence, tu me pourvois d'aliments terrestres ; puisses-tu recueillir mon dernier soupir lorsque mon jour fatal sera venu ! Que je ne sois point une des victimes des nombreux dangers des mers ! Que je puisse du rivage payer mon juste tribut à Neptune ! Qu'un bois d'une mince épaisseur ne me transporte point sur des ondes rebelles ! Que je n'aie point à gémir de voir s'avancer dans les airs les vents et les orages ! Ils causent aux mortels une crainte plus affreuse que les flots, que les tourments d'une navigation pénible, auxquels ils sont en butte au milieu des tempêtes les plus désastreuses. N'est-ce point assez de perdre la vie dans la vaste mer ? Faut-il encore servir de proie à de pareils monstres ? Faut-il, privé de sépulture, être réservé si on les rencontre à remplir le gouffre odieux de leur estomac ? De pareils malheurs me font frémir. Ô mer ! Salut donc de dessus la terre ! Sois-moi de loin douce et propice !"
Telles sont les manœuvres dont on fait usage contre ceux de ces cétacés, à plus vaste dimension, dont le poids immense affaisse les ondes : on en emploie de moindres contre ceux d'une moindre grandeur. On se sert d'instruments dont la proportion suit celle de ces animaux, de cordes plus minces, d'hameçons moins forts, d'un plus petit appât. Au lieu d'outres de la peau de chèvres, on a des courges sèches, disposées en cercle, qui enlèvent, par leur légèreté, ce genre de cétacés.
Les pêcheurs en veulent-ils aux petits des lamnes, ils dénouent le plus souvent le lien dont la rame était contenue, et le font arriver dans les flots. Sitôt que l'animal l'aperçoit, il s'y jette et le saisit de ses fortes mâchoires. Ses dents crochues, engagées comme par des nœuds à ces lient, y restent irrévocablement arrêtées ; on le prend alors avec moins de peine, en le frappant à coups pressés de l'impitoyable trident.
Au nombre de ces intraitables cétacés est la race des chiens, si distingués des autres par la fureur de leur immodérée voracité. Ils se font remarquer surtout par l'impudence et l'audace les plus effrénées. Hardis jusqu'à l'insolence, transportés de la rage la plus affreuse, rien ne leur inspire de crainte. Lors même qu'ils sont captifs dans les filets, ils osent souvent s'élancer sur les marins, s'approcher de leurs nasses remplies de poissons, et s'approprier leur pêche, dont ils font à l'instant un doux repas. Le pêcheur attentif, leur présentant à propos l'hameçon et les poissons pour appât, en fera une proie facile, due à leur aveugle et insatiable avidité. (...)
Par contraste, Oppien ne manque pas d'éloges concernant le dauphin :
La pêche des dauphins est réprouvée des dieux : les, sacrifices de celui qui oserait la faire ne leur seraient point agréables ; il n'approcherait de leurs autels qu'une main profane. L'homme qui se porte volontairement à leur faire la guerre entache de son crime tous ceux de sa maison. Les Immortels sont également irrités du meurtre des humains et de celui de ce prince des mers. Un même génie est le partage des hommes et de ces ministres de Neptune. De là le principe, comme naturel, de leurs affections, le nœud qui les lie à l'homme d'une amitié si particulière ; aussi dans les parages de l'Eubée, les dauphins prêtent-ils leur assistance aux pêcheurs, quels que soient les poissons qu'ils ambitionnent de prendre. Lorsque dans leurs pêches nocturnes ils se présentent sur les ondes armées de l'épouvantail de leurs feux, de la lumière vive d'une lampe d'airain, les dauphins se rangent à leur suite pour hâter avec eux leur pêche. Les poissons, saisis d'épouvante, prennent la fuite, les dauphins, du sein des eaux, viennent réunis à leur rencontre, les forcent de retourner en arrière, les harcèlent, les pressent, quoique ambitieux de gagner le fond, de faire retraite vers la terre ennemie ; semblables à des chiens de chasse qui, par leurs aboiements successifs, décèlent, ramènent le gibier aux chasseurs. Repoussés ainsi vers le rivage, dans le trouble et le désordre, les poissons tombent aisément dans les mains des pêcheurs, percés de leurs tridents aigus. Voyant que la route des mers leur est fermée, ils bondissent dans l'onde, pressés par les dauphins, leurs rois, et par les feux des marins. Lorsque le travail de cette heureuse pêche est terminé, les dauphins s'approchent pour demander le prix de leur secours, pour recevoir leur part du butin : les pêcheurs ne s'y refusent point, ils leur délivrent sans peine la portion qui leur en est due. S'ils commettaient l'injustice de leur en faire tort, les dauphins ne s'offriraient plus dans la suite comme auxiliaires dans leurs poches. (...)
Le cinquième chant se termine avec l'évocation de la pêche aux éponges :
Je ne crois pas qu'il y ait de pêche qui présente de plus rudes combats, de plus déplorables travaux à ceux qui s'y livrent, que celle des éponges. Lorsqu'ils se disposent à la faire, ils ont soin de s'abstenir d'une nourriture, d'une boisson trop abondantes ; ils ne s'abandonnent point aux douceurs d'un long sommeil peu convenable aux pêcheurs. Ainsi lorsqu'un chanteur célèbre favori d'Apollon, se prépare à disputer le prix du chant, il ne néglige aucun moyen, il met tout en usage pour se maintenir jusqu'au moment du combat dans toute la force et la fraîcheur de sa voix ; ainsi les pêcheurs d'éponges s'observent attentivement d'avance afin que leur respiration reste libre à leur entrée dans l'onde et les ranime contre le premier choc de leurs travaux. Lorsqu'ils y sont en butte en parcourant l'épaisse profondeur des mers, ils invoquent toutes les divinités des eaux et les supplient de les préserver de l'approche des funestes cétacés, ainsi que de toute autre rencontre dangereuse : s'ils aperçoivent le callichte, leur esprit rassuré reprend toute son énergie. On ne voit en effet dans aucune des parties de l'empire d'Amphitrite, où se trouve ce beau poisson, ni cétacé, ni monstre marin, ni tout autre objet qui puisse nuire : il se plaît, il se porte toujours dans les eaux limpides et qui n'offrent aucun danger ; aussi l'a-t-on nommé le poisson sacré. Les pêcheurs, réjouis de sa présence, hâtent leurs manœuvres : l'un d'eux passe autour de ses reins une corde très longue ; il arme ses deux mains, l'une d'un gros poids de plomb, l'autre d'une faux bien affilée ; il tient en réserve dans sa bouche une préparation huileuse blanche. Placé sur la proue, il considère la vaste étendue de l'abîme, il songe aux tourments terribles, à l'onde immense contre lesquels il va lutter. Ses compagnons l'excitent, l'encouragent de leurs discours, comme un homme au pied rapide prêt à s'élancer dans la carrière.
Lorsque son cœur a pris assez d'assurance, il se précipite dans les flots ; le plomb l'entraîne plus aisément au fond des mers où il aspire d'arriver. En entrant dans l'onde, il laisse échapper de sa bouche cette huile préparée, qui, se mêlant aux eaux, leur donne plus de transparence, une lumière plus vive ; tel qu'un flambeau qui, au sein des ténèbres, fait sur l'œil une plus forte impression. Parvenu près des rochers, il aperçoit les éponges ; elles s'y produisent dans le fond le plus bas des mers fortement adhérentes entre elles. On assure qu'elles jouissent du bienfait de la vie, ainsi que tant d'autres êtres qui naissent sur les rochers battus des eaux ; sa main vigoureuse fond aussitôt sur elles et les coupe avec la faux, comme ferait un moissonneur des dons de Cérès. Il s'inquiète peu de s'arrêter plus longtemps ; il agite promptement la corde, indiquant ainsi à ses compagnons de l'enlever. Le sang fétide des éponges jaillit à l'instant de toutes parts et se porte tout autour de lui. Souvent cette odieuse sanie s'attachant à ses narines arrête, par l'odeur repoussante qui lui est propre, le jeu de sa respiration : c'est par ce motif qu'il remonte avec tant de célérité et que ses compagnons le hissent plus prompts que la pensée. On ne saurait le voir ainsi sortir des mers sans être affecté tout à la fois du double sentiment d'une joie vive et d'une douleur mêlée de pitié : la crainte, ses accablantes fatigues mettent ainsi son corps dans le plus triste état d'épuisement et de faiblesse. Malheureux ! trop souvent, dans son horrible et funeste pêche, il périt au milieu des mers, surpris par la rencontre de quelque monstre. Il tire précipitamment la corde, avertissant par là ses compagnons de sa détresse ; ils l'enlèvent à moitié dévoré par quelque affreux cétacé, spectacle horrible ! désirant encore rejoindre son navire et ses compagnons. Les autres pêcheurs, douloureusement émus, abandonnent aussitôt ce lieu cruel, cette pêche exécrable, et, les yeux baignés de pleurs, transportent sur la rive les restes de leur infortuné compagnon.
Princes chéris de Jupiter, ô mes souverains ! telles sont les diverses merveilles, les scènes variées, ouvrages de la nature et de l'art, que nous offrent les mers et dont j'ai recueilli la connaissance. Puissent vos navires, toujours secondés des vents doux et amis, sillonner le vaste Océan sans éprouver de dommage. Puisse l'empire d'Amphitrite être toujours peuplé, rempli d'innombrables poissons ! Puisse Neptune, du fond des eaux, maintenir les fondements de la terre dans leur inébranlable solidité et les défendre de toute secousse intérieure qui en provoque la destruction.
→ Halieutiká l'intégralité des 5 chants traduits en prose par Limes.