03 mars 2016

1798 - Histoire Naturelle des Poissons (Lacépède)

Le Requin (détail). Illustration de l'édition de 1853.


Le naturaliste français Bernard Germain Étienne de Laville-sur-Illon, comte de Lacépède (1756-1825) est l'auteur de l'Histoire naturelle des poissons parue entre 1798 et 1803. Celle-ci s'intègre dans la monumentale Histoire Naturelle de Georges-Louis Leclerc Comte de Buffon (1707-1788), à savoir 36 volumes parus de 1749 à 1789 et 8 volumes parus après sa mort.


Lacépède s'inspire largement des notes et des collections laissées par Philibert Commerson (1727-1773) qui a accompagné Louis-Antoine de Bougainville lors de son expédition autour du monde en 1766-69.

Il classe et décrit 30 différentes espèces de requins et accorde une place importante au grand requin blanc, le Squale Requin, avec un imposant article, le considérant comme étant "le squale par excellence", comme la mesure générale à laquelle il rapportera les autres espèces.





L'Histoire Naturelle des Poissons bénéficiera de nombreuses rééditions jusqu'en... 1881, et l'article du Squale Requin reste inchangé. Néanmoins dans l'édition de 1803 renommée en Histoire naturelle générale et particulière des poissons, les squales sont reclassés et l'on passe à 32 espèces décrites. L'ensemble est annoté et commenté par le naturaliste Charles-Nicolas-Sigisbert Sonnini de Manoncourt (1751-1812).






Ci dessous l'article en totalité, et les notes de Lacépède (ainsi que les notes de l'édition 1803 par Sonnini). Les illustrations en couleurs sont tirés de l'édition de 1853.


LE SQUALE REQUIN

Les squales* et les raies ont les plus grands rapports entre eux; ils ne sont en quelque sorte que deux grandes divisions de la même famille. Que l’on déplace en effet les ouvertures des branchies des raies, que ces orifices soient transportés de la surface inférieure du corps sur les côtés de l’animal, qu'on diminue la grandeur des nageoires pectorales, qu'on grossisse dans quelques uns de ces cartilagineux l'origine de la queue, et qu'on donne à cette origine le même diamètre qu'à la partie postérieure du corps, et les raies seront entièrement confondues avec les squales. Les espèces seront toujours  distinguées les unes des autres; mais aucun caractère véritablement générique ne pourra les diviser en deux groupes : on comptera le même nombre de petits rameaux; mais on ne verra plus deux grandes branches principales s'élever séparément sur leur tige commune.
* Nous avons préféré, pour le genre dont nous allons traiter, le nom de squale, admis par un très grand nombre de naturalistes modernes, à celui de chien de mer, qui est composé, et qui présente une idée fausse. En effet, les squales sont bien des habitants de la mer, mais sont certainement, dans l’œuvre des êtres, bien éloignés du genre des chiens.

Quelques squales ont, comme les raies, des évents placés auprès et derrière les jeux; quelques autres ont, indépendamment de ces évents, une véritable nageoire  de l'anus, très distincte des nageoires ventrales, et qu'aucune raie ne présente ; il en est enfin qui sont pourvus de cette même nageoire de l'anus, et qui sont dénués d'évents. Les premiers ont évidemment plus de conformité avec les raies que les seconds, et surtout que les troisièmes. Nous n'avons pas cru cependant devoir exposer les formes et les habitudes des squales dans l'ordre que nous venons d'indiquer, et que l'on pourroit à certains égards regarder comme le plus naturel. La nécessité de commencer par montrer les objets les mieux connus et de les faire servir de terme de comparaison, pour juger de ceux qui ont été moins bien et moins fréquemment observés, nous a forcés de préférer un ordre inverse, et de placer les premiers dans cette histoire, les squales qui n'ont pas d'évents, et qui ont une nageoire de l'anus.

Au reste, les espèces de squales ne diffèrent dans leurs formes et dans leurs habitudes que par un petit nombre de points. Nous indiquerons ces points de  séparation dans des articles particuliers; mais c'est en nous occupant du plus redoutable des squales, que nous allons tâcher de présenter en quelque sorte l'ensemble des habitudes et des formes du genre. Le requin va être, pour ainsi dire, le type de la famille entière; nous allons le considérer comme le squale par excellence, comme la mesure générale à laquelle nous rapporterons les autres espèces; et l'on verra aisément combien cette sorte de prééminence due à la supériorité de son volume, de sa force et de sa puissance, est d'ailleurs fondée sur le grand nombre d'observations dont la curiosité et la terreur qu'il inspire, l'ont rendu dans tous les temps l'objet.

Ce formidable squale parvient jusqu'à une longueur de plus de dix mètres (trente pieds ou environ); il pèse quelquefois près de cinquante myriagrammes (mille livres)*; et il s'en faut de beaucoup que l'on ait prouvé que l'on doit regarder comme exagérée, l'assertion de ceux qui ont prétendu qu'on avoit péché un requin du poids de plus de cent quatre-vingt-dix myriagrammes (quatre mille livres)**.
* Rondelet, à l’endroit déjà cité
** Gillius, dans Ray; et d'autres auteurs.

Mais la grandeur n'est pas son seul attribut : il a reçu aussi la force, et des armes meurtrières ; et, féroce autant que vorace, impétueux dans ses mouvements, avide de sang, et insatiable de proie, il est véritablement le tigre de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi, poursuivant avec plus d'obstination, attaquant avec plus de rage, combattant avec plus d'acharnement, que les autres habitants des eaux ; plus dangereux que plusieurs cétacées, qui presque toujours sont moins puissants que lui; inspirant même plus d'effroi que les baleines, qui, moins bien armées, et douées d'appétits bien différents, ne provoquent presque jamais ni l'homme ni les grands animaux; rapide dans sa course, répandu sous tous les climats, ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers; paroissant souvent au milieu des tempêtes; aperçu facilement, par l'éclat phosphorique dont il brille, au milieu des ombres des nuits les plus orageuses; menaçant de sa gueule énorme et dévorante les infortunés navigateurs exposés aux horreurs du naufrage, leur fermant toute voie de salut, leur montrant en quelque sorte leur tombe ouverte, et plaçant sous leurs jeux le signal de la destruction, il n'est pas surprenant qu'il ait reçu le nom sinistre qu'il porte, et qui, réveillant tant d'idées lugubres, rappelle surtout la mort, dont il est le ministre.

Requin est en effet une corruption de Requiem, qui désigne depuis longtemps, en Europe, la mort et le repos éternel, et qui a dû être souvent, pour des passagers effrayés, l'expression de leur consternation, à la vue d'un squale de plus de trente pieds de longueur, et des victimes déchirées ou englouties par ce tyran des ondes*. Terrible encore lorsqu'on a pu parvenir à l'accabler de chaînes, se débattant avec violence au milieu de ses liens, conservant une grande puissance lors même qu'il est déjà tout baigné dans son sang, et pouvant d'un seul coup de sa queue répandre le ravage autour de lui, à l'instant même où il est près d'expirer, n'est-il pas le plus formidable de tous les animaux auxquels la nature n'a pas départi des armes empoisonnées? Le tigre le plus furieux au milieu des sables brûlants, le crocodile le plus fort sur les rivages équatoriaux, le serpent le plus démesuré dans les solitudes africaines, doivent ils inspirer autant d'effroi qu'un énorme requin au milieu des vagues agitées?
* La vraie étymologie du nom de requin se trouve dans l'ancien gothique; il vient de rick, qui dans l'origine, signifie fort, puissant, et dont on a formé depuis le mot riche, parce qu'à mesure que la société s'est dépravée, nos ancêtres se sont apercus que richesse et force ou puissance devenoient malheureusement des synonymes (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

Mais examinons le principe de cette puissance si redoutée, et la source de cette voracité si funeste.

Le corps du requin est très allongé, et la peau qui le recouvre est garnie de petits tubercules très serrés les uns contre les autres. Comme cette peau tuberculée est très dure, on l'emploie, dans les arts, à polir différents ouvrages de bois et d'ivoire; on s'en sert aussi pour faire des liens et des courroies, ainsi que pour couvrir des étuis et d'autres meubles : mais il ne faut pas la confondre avec la peau de la raie sephen*, dont on fait le galuchat, et qui n'est connue dans le commerce que sous le faux nom de peau de requin, tandis que la véritable peau de requin porte la dénomination très vague de peau de chien de mer. La dureté de cette peau, qui la fait rechercher dans les arts, est aussi très utile au requin, et a dû contribuer à augmenter sa hardiesse et sa voracité, en le garantissant de la morsure de plusieurs animaux assez forts et doués de dents meurtrières.
*Article de la raie sephen.

La couleur de son dos et de ses côtés est d'un cendré brun; et celle du dessous de son corps, d'un blanc sale. La tête est aplatie, et terminée par un museau un peu arrondi. Au dessous de cette extrémité, et à peu près à une distance égale du bout du museau et du milieu des yeux, on voit les narines organisées dans leur intérieur presque de la même manière que celles de la raie bâtis, et qui, étant le siège d'un odorat très-fin et très-délicat, donnent au requin la facilité de reconnoître de loin sa proie, et de la distinguer au milieu des eaux les plus agitées par les vents, ou des ombres de la nuit la plus noire, ou de l'obscurité des abymes les plus profonds de l'Océan. Le sens de l'odorat étant dans le requin, ainsi que dans les raies et dans presque tous les poissons, celui qui règle les courses et dirige les attaques, les objets qui répondent l'odeur la plus forte doivent être, tout égal d'ailleurs, ceux sur lesquels il se jette avec le plus de rapidité. Ils sont pour le requin ce qu'une substance très-éclatante placée au milieu de corps très peu éclairés seroit pour un animal qui n'obéiroit qu'au sens de la vue. On ne peut donc guère se refuser à l'opinion de plusieurs voyageurs qui assurent que lorsque des blancs et des noirs se baignent ensemble dans les eaux de l'Océan, les noirs, dont les émanations sont plus odorantes que celles des blancs, sont plus exposés à la féroce avidité du requin, et qu'immolés les premiers par cet animal vorace, ils donnent le temps aux blancs d'échapper par la fuite à ses dents acérées. Et pourquoi, à la honte de l'humanité, est-on encore plus forcé de les croire lorsqu'ils racontent que des blancs ont pu oublier les loix sacrées de la nature, au point de ne descendre dans les eaux de la mer qu'en plaçant autour d'eux de malheureux nègres, dont ils faisoient la part du requin?

L'ouverture de la bouche est en forme de demi-cercle, et placée transversalement au dessous de la tête, et derrière les narines. Elle est très-grande; et l'on pourra juger facilement de ses dimensions , en sachant que nous avons reconnu, d'après plusieurs comparaisons, que le contour d'un côté de la mâchoire supérieure, mesuré depuis l'angle des deux mâchoires jusqu'au sommet de la mâchoire d'en haut, égale à peu près le onzième de la longueur totale de l'animal. Le contour de la mâchoire supérieure d'un requin de trente pieds (près de dix mètres) est donc environ de six pieds ou deux mètres de longueur. Quelle immense ouverture! Quel gouffre pour engloutir la proie du requin!

Et comme son gosier est d'un diamètre proportionné, on ne doit pas être étonné de lire dans Rondelet et dans d'autres auteurs, que les grands requins peuvent avaler un homme tout entier*, et que, lorsque ces squales sont morts et gisants sur le rivage, on voit quelquefois les chiens entrer dans leur gueule, dont quelque corps étranger retient les mâchoires écartées, et aller chercher jusque dans l'estomac les restes des aliments dévorés par l'énorme poisson.
* [Sonnini rajoute ici une longue note, ou il reprend quelques cas déjà multi-cités de requins  dans lesquels on trouva des restes entiers humains, on ne retiendra donc que ce passage]: (...) L'année dernière, 1802, l'on apprit à Londres, par une lettre authentique de Surinam, que le capitaine Brown, se trouvant à chasser sur le rivage et à l’embouchure de la rivière de Surinam, aperçut un requin auquel il décocha une flèche dont l'animal fût atteint. Dangereusement blessé, il disparut; mais le lendemain on l'aperçut à fleur d'eau, à une distance très-peu éloignée du rivage; des bateaux, approchèrent alors, et on acheva de le tuer; mais quelle fut la surprise de ceux que la curiosité avoit attirés pour le voir, lorsqu'en l'ouvrant on trouva dans son corps d’une femme toute entière, à l'exception de la tête qui avoit été séparée du tronc.
Stenon observa dans la tête du requin, pris aux environs de Livourne, que le diamètre transversal de la bouche, mesuré de l'angle d'une mâchoire à l'autre, avoit une coudée de long (mesure de Florence), et que le second diamètre, perpendiculaire au premier, avoit les quatre cinquièmes d'une coudée. Il n'est donc point étonnant de trouver dans les estomacs de ces animaux des hommes tout entiers. Et cette ampleur naturelle de la bouche des requins est encore susceptible de s'étendre, comme celle des serpents et des couleuvres, par la grande élasticité des os des mâchoires, qui sont de nature cartilagineuse; en sorte que cette énorme bouche à laquelle aboutit gosier et un estomac également vastes, est susceptible de recevoir et d'engloutir les hommes et de grands animaux. (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

Lorsque cette gueule est ouverte, on voit au delà des lèvres, qui sont étroites et de la consistance du cuir, des dents plates, triangulaires, dentelées sur leurs bords, et blanches comme de l'ivoire. Chacun des bords de celte partie émaillée, qui sont hors des gencives, a communément cinq centimètres (près de deux pouces) de longueur dans les requins de trente pieds. Le nombre des dents augmente avec l'âge de l'animal. Lorsque le requin est encore très-jeune, il n'en montre qu'un rang, dans lequel on apperçoit même quelquefois que de bien foibles dentelures, mais à mesure qu'il se développe, il en présente un plus grand nombre de rangées; et lorsqu'il a atteint un degré plus avancé de son accroissement et qu'il est devenu adulte, sa gueule est armée, dans le haut comme dans le bas, de six rangs de ces dents fortes, dentelées, et si propres à déchirer ses victimes.

Ces dents ne sont pas enfoncées dans des cavités solides; leurs racines sont uniquement logées dans des cellules membraneuses qui peuvent se prêter aux differents mouvements que les muscles placés autour de la base de la dent tendent à imprimer. Le requin, par le moyen de ces différents muscles, couche en arrière ou redresse à volonté les divers rangs de dents dont sa bouche est garnie; il peut les mouvoir ainsi ensemble, ou séparément; il peut même, selon les besoins qu'il éprouve, relever une portion d'un rang, et en incliner une autre portion; et, suivant qu'il lui est possible de n'employer qu'une partie de sa puissance, ou qu'il lui est nécessaire d'avoir recours à toutes ses armes, il ne montre qu'un ou deux rangs de ses dents meurtrières, ou, les mettant toutes en action, il menace et atteint sa proie de tous ses dards pointus et relevés.

Les rangs intérieurs des dents du requin, étant les derniers formés, sont composés de dents plus petites que celles que l'on voit dans les rangées extérieures, lorsque le requin est encore jeune: mais, à mesure qu'il s'éloigne du temps où il a été adulte, les dents des différentes rangées que présente sa gueule, sont à peu près de la même longueur, ainsi qu'on peut le vérifier en examinant, dans les collections d'histoire naturelle, de très-grandes mâchoires, c'est-à-dire celles qui ont appartenu à des requins âgés, et surtout en observant les requins d'une taille un peu considérable que l'on parvient à prendre. Je ne crois pas en conséquence devoir adopter l'opinion de ceux qui ont regardé les dents intérieures comme destinées à remplacer celles de devant, lorsque le requin est privé de ces dernières par une suite d'efforts violents, de résistances opiniâtres, ou d’autres accidents.

Les dents intérieures sont un supplément de puissance pour le requin: elles concourent, avec celles de devant, à saisir, à retenir, à dilacérer la proie dont il veut se nourrir ; mais elles ne remplacent pas les extérieures : elles agissent avec ces dents plus éloignées du fond de la bouche, et non pas uniquement après la chute de ces dernières; et lorsque celles-ci cèdent leur place à d'autres, elles la laissent à des dents produites auprès de leur base et plus ou moins développées, à de véritables dents de remplacement, très distinctes de celles que l’on voit dans les six grandes rangées, à des dents qui parviennent plus ou moins rapidement aux dimensions des dents intérieures, et qui cependant très souvent sont moins grandes que ces dernières, lorsqu’elles sont substituées aux dents extérieures arrachées de la gueule du requin*. Les dents intérieures tombent aussi, et abandonnent, comme les extérieures, l'endroit qu'elles occupoient, à de véritables dents de remplacement formées autour de leur racine. Les dents de la mâchoire inférieure présentent ordinairement des dimensions moins grandes et une dentelure plus fine que celles de la mâchoire supérieure.

* [Sonnini rajoute à nouveau ici une longue note qui court sur plusieurs pages, dissertant sur la fonction des dents du squale requin, on ne retiendra donc que cet extrait]: Stenon, ayant remarqué que les dents qui forment les rangs intérieurs de la bouche du requin sont inclinées vers le gosier, et tellement enveloppées dans la chair molle et spongieuse des gencives, qu’il faut la couper pour les mettre à découvert, avoue qu'il ne devine point la destination de ces dents si singulièrement disposées, puisque étant enfoncées dans les chairs, elles ne peuvent être d'aucun usage pour broyer les aliments. Celles de la première rangée paroissoient bien à ce célèbre anatomiste servir à retenir la proie et à la diviser, lorsqu'elle est trop volumineuse pour la capacité de l'estomac; mais
il ne voyoit point quel pouvoit être l'usage des nombreuses dents courbées sur les mâchoires du requin, et recouvertes d'une chair molle et spongieuse. 

Hérissant pensoit, au contraire, que ces dents, plus ou moins ensevelies dans les chairs, sont des dents de réserve, destinées à remplacer celles de la rangée antérieure; en sorte que, lorsqu'une ou plusieurs do ces premières dents viennent à manquer, celles qui sont au dessous se soulèvent et vont occuper leur place.

Enfin Spallanzani a fait plus récemment des observations importantes sur les dents du requin. Elles ont été publiées dans son Voyage dans les Deux-Siciles, c'est de cet ouvrage que j'ai tiré le passage suivant. Il faut remarquer que le requin, qui servit aux observations de Spallanzani, n'avoit que six pieds de long sur trois pieds quatre pouces de circonférence; c'étoit, dit cet habile observateur, un pygmée eu comparaison des adultes de son espèce.

"La première rangée des dents de la mâchoire supérieure saille à peine hors de la bouche; leurs pointes sont légèrement courbées vers l'intérieur du gosier. La seconde rangée est plus inclinée dans le même sens ; les autres rangées sont aplaties sous celles-là, et s'y cachent en partie. Les plus grandes dents ont quatre lignes et demie de long sur trois et demie de large. On voit les mêmes dispositions dans la mâchoire inférieure, excepté que les dents plus petites ne sont pas découpées eu manière de scie comme les précédentes. Mais le dessèchement et la dureté ces mâchoires auxquelles je ne pouvois toucher sans gâter l'animal, ne me permirent pas d'enlever la chair spongieuse, et de mettre les dents à découvert. Je revins donc à des mâchoires isolées que possédoit le muséum de Pavie, et pouvant en disposer avec liberté, j’en pris deux que je fis macérer dans l'eau à l'effet de les ramollir. Voici le résultat de mes observations (...) Ainsi je restai convaincu que les dents de la seconde rangée dans le squale requin ne lui sont point inutiles, materiœ necessitate facti comme le dit Stenon, mais qu'elles sont destinées par la nature à suppléer celles de la première rangée quand elles se perdent : observation ingénieuse dont tout le mérite appartient à Hérissant, mais qui ne m'en a pas procuré moins de plaisir en la répétant d'après lui. Comme les dents de la troisième et de la quatrième rangées sont également adhérentes à la chair spongieuse qui est mobile dans les parties antérieures de la bouche, je ne fais aucun doute que, lorsqu'il se rompt des dents de la seconde rangée qui ont déjà pris place dans la première, celles de la troisième ne viennent les suppléer, et après elles celles de la quatrième; de manière que les trois rangées postérieures peuvent être regardées comme les suppléantes de la première. (...)" (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

La langue est courte, large, épaisse, cartilagineuse, retenue en dessous par un frein, libre dans ses bords, blanche et rude au toucher comme le palais. Toute la partie antérieure du museau est criblée, par dessus et par-dessous, d'une grande quantité de pores répandus sans ordre, très visibles, et qui, lorsqu'on comprime fortement le devant de la tête, répandent ume espèce de gelée épaisse, cristalline, et phosphorique, suivant Commerson, qui, dans ses voyages, a très-bien observé et décrit le requin.

Les yeux sont petits et presque ronds; la cornée est très-dure; l'iris, d'un verd foncé et doré; et la prunelle, qui est bleme, consiste dans une fente transversale.

Les ouvertures des branchies sont placées de chaque coté, plus haut que les nageoires pectorales. Ces branchies, semblables à celles des raies, sont engagées chacune dans une membrane très-mince, et toutes présentent deux rangs de filaments sur leur partie convexe, excepté la branchie la plus éloignée du museau, laquelle n'en montre qu'une rangée. Une mucosité visqueuse, sanguinolente, et peut-être phosphorique, dit Commerson, arrose ces branchies, et les entretient dans la souplesse nécessaire aux opérations relatives à la respiration.

Toutes les nageoires sont fermes, roides, et cartilagineuses. Les pectorales, triangulaires, et plus grandes que les autres, s'étendent au loin de chaque côté, et n'ajoutent pas peu à la rapidité avec laquelle nage le requin, et dont il doit la plus grande partie à la force et à la mobilité de sa queue. La première nageoire dorsale, plus élevée et plus étendue que la seconde , placée au-delà du point auquel correspondent les nageoires pectorales, et égalant presque ces dernières en surface, est terminée dans le haut par un bout un peu arrondi.

Plus près de la queue, et au dessous du corps , on voit les deux nageoires ventrales, qui s'étendent jusques aux deux côtés de l'anus, et l'environnent comme celles des raies. De chaque côté de cette ouverture on apperçoit, ainsi que dans les raies, un orifice qu'une valvule ferme exactement, et qui, communiquant avec la cavité du ventre, sert à débarrasser l'animal des eaux qui, filtrées par différentes parties du corps, se l'amassent dans cet espace vuide.

La seconde nageoire du dos et celle de l'anus ont à peu près la même forme et les mêmes dimensions, elles sont les plus petites de toutes, situées presque  toujours l'une au dessus de l'autre, et très-près de celle de la queue.

Au reste les nageoires pectorales, dorsales, ventrales, et de l'anus, sont terminées en arrière par un côté plus ou moins concave, et ne tiennent point au corps dans toute la longueur de leur base, dont la partie postérieure est détachée et prolongée en pointe plus ou moins déliée.

La nageoire de la queue se divise en deux lobes très inégaux, le supérieur est deux fois plus long que l'autre, triangulaire, courbé, et augmenté, auprès de sa pointe d'un petit appendice également triangulaire. Auprès de cette nageoire se trouve souvent, sur la queue, une petite fossette faite en croissant dont la concavité est tournée vers la tête. Au reste, le requin a des muscles si puissants dans la partie postérieure de son corps, ainsi que dans sa queue proprement dite, qu'un animal de cette espèce, encore très-jeune, et à peine parvenu à la longueur de deux mètres, ou d'environ six pieds, peut, d'un seul coup de sa queue, casser la jambe de l'homme le plus fort.

Nous avons vu, dans notre Discours sur la nature des poissons, que les squales étoient, comme les raies, dénués de cette vésicule aérienne, dont la compression et la dilatation donnent à la plupart des animaux dont nous avons entrepris d'écrire l'histoire, tant de facilité pour s'enfoncer ou s'élever au milieu des eaux; mais ce défaut de vésicule aérienne est bien compensé dans les squales, et particulièrement dans le requin, par la vigueur et la vitesse avec lesquelles ils peuvent mouvoir et agiter la queue proprement dite, cet instrument principal de la natation des poissons.

Nous avons vu aussi, dans ce même discours, que presque tous les poissons avoient de chaque côté du corps une ligne longitudinale saillante et plus ou moins sensible , à laquelle nous avons conservé le nom de ligne latérale, et que nous avons regardée comme l'indice des principaux vaisseaux destinés à répandre à la surface du corps une humeur visqueuse, nécessaire aux mouvements et à la conservation des poissons. Cette ligne, que l'on ne remarque pas sur les raies, est très-visible sur le requin, et elle s’étend communément depuis les ouvertures des branchies jusqu'au bout de la queue, presque sans se courber, et toujours plus près du dos que de la partie inférieure du corps.






Telles sont les formes extérieures du requin*. Son intérieur présente aussi des particularités que nous devons faire connoître. Le cerveau est petit, gris à sa surface, blanchâtre dans son intérieur, et d'une substance plus molle et plus flasque que le cervelet.
* Principales dimensions d'un requin [Lacépède énumère ici diffférentes mensurations d'un spécimen dont la longueur totale est notée 5 pieds, 7 pouces, 6 lignes].

Le cœur n'a qu'un ventricule et une oreillette; mais cette dernière partie, dont le côté gauche reçoit la veine cave, a une grande capacité. A la droite, le cœur se décharge dans l'aorte, dont les parois sont très-fortes. La valvule qui la ferme est composée de trois pièces presque triangulaires, cartilagineuses à leur sommet, par lequel elles se réunissent au milieu de la cavité de l'aorte, et mobiles dans celui de leurs bords qui est attaché aux parois de ce vaisseau.

En s’éloignant du cœur, et en s’avançant vers la tête, l'aorte donne naissance de chaque côté à trois artères qui aboutissent aux trois branchies postérieures ; et parvenue à la base de la langue, elle se divise en deux branches, dont chacune se sépare en deux rameaux ou artères qui vont arroser les deux branchies antérieures. L'artère, en arrivant à la branchie, parcourt la surface convexe du cartilage qui en soutient les membranes, et y forme d'innombrables ramifications qui, en s'étendant sur la surface de ces mêmes membranes, y produisent d'autres ramifications plus petites, et dont le nombre est, pour ainsi dire, infini.

L’œsophage, situé à la suite d'un gosier très-large, est très-court, et d'un diamètre égal à celui de la partie antérieure de l'estomac. Ce dernier viscère a la forme d'un sac très-dilatable dans tous les sens, trois fois plus long que large, et qui dans son état d'extension ordinaire a une longueur égale au quart de celle de l'animal entier. Dans un requin de dix mètres, ou d'environ trente pieds, l'estomac, lors même qu'il n'est que très-peu dilaté, a donc deux mètres et demi, ou un peu plus de sept pieds et demi, dans sa plus grande dimension; et voilà comment on a pu trouver dans de très-grands requins des cadavres humains tout entiers. La tunique intérieure qui tapisse l’estomac est rougeâtre, muqueuse, gluante, et inondée de suc gastrique, ou digestif.

Le canal intestinal ne montre que deux portions distinctes, dont l'une représente les intestins grêles, et l'autre les gros intestins de l'homme et des quadrupèdes. La première portion de ce canal est très-courte, et n'a ordinairement qu'un peu plus de trois décimètres, ou un pied, de long, dans les requins qui ne sont encore parvenus qu'à une longueur de deux mètres, ou d'environ six pieds; et comme elle est si étroite, que sa cavité peut à peine,dans les individus dont nous venons de parler, laisser passer une plume à écrire, ainsi que le rapporte Commerson, l'on doit penser, avec ce savant naturaliste, que le principal travail de la digestion s'opère dans l'estomac, et que les aliments doivent être déjà réduits à une substance fluide, pour pouvoir pénétrer par la première partie du canal jusqu'à la seconde.

Cette seconde portion du tube intestinal, beaucoup plus grosse que l'autre, est très-courte; mais elle présente une structure très-remarquable, et dont les effets compensent ceux de sa brièveté. Au lieu de former un tuyau continu, et de représenter un simple sac, comme les intestins de presque tous les animaux, elle ne consiste que dans une espèce de toile très-grande, qui s’étend inégalement lorsqu'on la développe, et qui repliée sur elle-même en spirale, composant ainsi un tube assez alongé, et maintenue dans cette situation uniquement par la membrane interne du péritoine , présente un grand nombre de sinuosités propres à retenir ou à absorber les produits des aliments. Cette conformation, qui équivaut à de longs intestins, a été très-bien observée et très-bien décrite par Commerson.

Le foie se divise en deux lobes très-alongés et inégaux. Le lobe droit a communément une longueur égale au tiers de la longueur totale du requin; le gauche est plus court à peu près d’un quart, et plus large à sa base.

La vésicule du fiel, pliée et repliée en forme de S, et placée entre les deux lobes du foie, est pleine d'une bile verte et fluide.

La rate, très-alongée, tient par un bout au pylore, et, par l'autre bout, à la fin de l'intestin grêle; et sa couleur est très-variée par le pourpre et le blanc des vaisseaux sanguins qui en parcourent la surface*.
*Commerson a observé, dans le mâle ainsi que dans la femelle du requin, un viscère particulier situé dans le bas-ventre, enveloppé et suspendu dans la membrane intérieure du péritoine, semblable à la rate par sa couleur et par sa substance, mais très petit, en forme de cylindre très-étroit et très-alongé, et s'ouvrant par un orifice très-resserré, près de l'anus, et dans le gros intestin.

La grandeur du foie et d'autres viscères, l'abondance des liquides qu'ils fournissent, la quantité des sucs gastriques qui inondent l’estomac, donnent au requin une force digestive active et rapide : elles sont les causes puissantes de celte voracité qui le rend si terrible, et que les alimens les plus copieux semblent ne pouvoir pas appaiser; mais elles ne sont pas les seuls aiguillons de cette faim dévorante. Commerson a fait à ce sujet une observation curieuse que nous allons rapporter.

Ce voyageur a toujours trouvé dans l'estomac et dans les intestins des requins, un très-grand nombre de taenia, qui non seulement en infestoient les cavités, mais pénétroient et se logeoient dans les tuniques intérieures de ces viscères. Il a vu plus d’une fois le fond de leur estomac gonflé et enflammé par les efforts d’une multitude de petits vers, de véritables taenia, renfermés en partie dans les cellules qu'ils s'étoient pratiquées entre les membranes internes , et qui, s'y retirant tout entiers lorsqu'on les fatiguoit, conservoient encore la vie quelque temps après la mort du requin. Nous n'avons pas besoin de montrer combien cette quantité de piqures ajoute de vivacité aux appétits du requin. Aussi avale-t-il quelquefois si goulûment, et se presse-t-il tant de se débarrasser d‘alimens encore mal digérés, pour les remplacer par une nouvelle proie, que ses intestins, forcés de suivre en partie des excréments imparfaits et chassés trop tôt, sortent par l'anus, et paroissent hors du corps de l'animal, d'une longueur assez considérable*.

* L'on peut prendre une idée de la voracité presque insatiable du requin; en se rappelant que le poisson de cette espèce, dont Brunnich fait mention, avoit dans estomac un homme et deux thons entiers, et que vraisemblablement il s'approchoit du rivage pour y trouver quelque nouvelle proie.
II n'est pas rare, suivant Cetti (Pesci de Sardegna, pag.70), de prendre des requins dans les filets arrangés pour la pêche des thons, et ils sont, pour les pêcheurs, des ennemis très redoutables. On en trouve quelquefois dans ces filets, sur les côtes de Sardaigne, qui pèsent jusqu'à trois ou quatre mille livres , et dans l'intérieur desquels il y a huit à dix thons. Muller (Zoolog. Dan. prodrom. pag. 38) dit que, près de l'île de Sainte-Marguerite, l'on prit un requin qui pesoit quinze cents livres, et qu'en l'ouvrant, on trouva dans son corps un cheval tout entier, qui avoit apparemment été jeté d'un vaisseau dans la mer.

Et cette monstrueuse gloutonnerie des requins s'exerce même sur leur propre espèce. Ils s'entre-dévorent lorsqu'ils trouvent l'occasion de se surprendre. Leem raconte qu'un lapon, ayant pris un requin, l'attacha à son canot; mais bientôt après il ne trouva plus sa capture, sans qu'il pût savoir comme elle avoit disparu. Mais quelque temps après, ce même lapon s'empara d'un autre requin plus gros, dans l'estomac duquel il trouva celui qu'il avoit perdu.

Les gens de mer connoissent bien l'excès de voracité qui porte les requins à se manger les uns les autres, et dans les parages où ces animaux abondent, ils deviennent pour les équipages un sujet de spectacle et d'amusement, à la vérité un peu trop sanguinaire et trop cruel pour plaire à d'autres qu'à des marins, longtemps privés de tout divertissement, et dont l’habitude des dangers les plus effrayants endurcit le caractère.

"Les requins, dit un des derniers navigateurs, sont très nombreux près de l'île des Cocos, plus hardis et plus voraces que je ne les ai vus en aucun endroit; assemblés en banc dans la baie, ils suivent tous les mouvements des canots, s'élancent sur leurs rames et surtout ce qui tomboit par accident ou étoit jeté à la mer. Ils saisissoient souvent le poisson que nous péchions à l'hameçon, avant qu'on put le tirer hors de l'eau; et ce qu'il y a de plus singulier, lorsqu'un d'entre eux étoit pris avec le harpon, et que les autres s'apercevoient qu'il ne pouvoit plus se défendre lui-même, il étoit attaqué et mis en pièces, et dévoré vivant par ses compagnons. Nos gens les harceloient de coups de harpons, de piques, etc., et leur faisoient de profondes blessures; mais rien ne pouvoit les écarter, ni les empêcher de renouveler leurs attaques contre celui qui étoit pris, et ils finissoient par le dévorer jusqu'aux os. Nous avons remarqué, en cette occasion, que c'est une erreur de croire que le requin est obligé de se tourner sur le dos pour saisir sa proie; ceux-ci n'avoient aucun besoin d'exécuter ce mouvement.

L'état de guerre, qui subsiste entre les marins et ces animaux voraces, fournit d'abord beaucoup d'amusement à l'équipage. Les matelots prenoient un requin au harpon, ou de quelque autre manière, pour régaler les autres avec celui-là, mais ce divertissement avoit le fâcheux effet de les attirer en grand nombre autour du vaisseau; et sachant que le maître d'équipage et un des midshipmen avoient pensé en être les victimes, et que peu s'en fallut qu'ils n'eussent été arrachés du canot par un requin d'une taille énorme qu'ils avoient harponné au milieu d'une cinquantaine de ces monstres, je crus nécessaire de défendre à l'avenir cette espèce de jeu qui, indépendamment des conséquences funestes qu'il pouvoit avoir, étoit trop cruel pour qu'on le regardât sans peine. Ces requins paroissoient être de trois espèces différentes. Les plus nombreux étoient tigrés et marqués de belles raies sur les côtés; les autres bruns ou bleus; et, ce qui est singulier, quoique ceux des deux premières espèces fussent dévorés par les autres aussitôt qu'ils étoient pris, si un requin bleu étoit pris et même tué, et sa chair coupée en morceaux et jetée au reste de la troupe, elle n'y touche pas". (Voyage de Vancouver, tom.III, pag.596 de la traduction française), (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

Dans le mâle, les vaisseaux spermatiques, ou la laite, sont divisés en deux portions, et ont une longueur égale au tiers de celle de l'animal considéré dans son entier. Le requin mâle a d’ailleurs, entre chaque nageoire de l'anus et cette dernière ouverture, un appendice douze fois plus long que large, égalant dans sa plus grande dimension le douzième de la longueur totale du squale, organisé à l'intérieur comme les appendices des mâles des raies bâtis, contenant cependant ordinairement lui nombre moins grand de parties dures et solides, mais se recourbant également par le bout, et servant de même à saisir le corps de la femelle, et à la retenir avec force lors de l’accouplement.

Chacun des deux ovaires de la femelle du requin est à peu près égal en grandeur à l’une des deux portions des vaisseaux spermatiques du mâle.

Le temps où le mâle et la femelle se recherchent et s'unissent, varie suivant les climats; mais c'est presque toujours lorsque la saison chaude de l'année a commencé de se faire sentir, qu'ils éprouvent le besoin impérieux de se débarrasser, l'une des œufs qu'elle porte, et l'autre de la liqueur destinée à les féconder. Ils s'avancent alors vers les rivages; ils se rapprochent; et souvent, lorsque le mâle a soutenu contre un rival un combat dangereux et sanglant, ils s'appliquent l'un contre l'autre, de manière à faire toucher leurs anus. Maintenus dans cette position par les appendices crochus du mâle, par leurs efforts mutuels, et par une sorte de croisement de plusieurs nageoires et des extrémités de leur queue, ils voguent dans cette situation contrainte, mais qui doit être pour eux pleine de charmes, jusqu'à ce que la liqueur vivifiante du mâle ait animé les œufs déjà parvenus au degré de développement susceptible de recevoir la vie.

Et telle est la puissance de cette flamme si active, qui s'allume même au milieu des eaux, et dont la chaleur pénètre jusqu'au plus profond des abymes de la mer, que ce mâle et cette femelle, qui dans d'autres saisons seroient si redoutables l'un pour l'autre, et ne chercheroient qu'à se dévorer mutuellement s'ils étoient pressés par une faim violente, radoucis maintenant, et cédant à des affections bien différentes d'un sentiment destructeur, mêlent sans crainte leurs armes meurtrières, rapprochent leurs gueules énormes et leurs queues terribles, et, bien loin de se donner la mort, s'exposeroient à la recevoir plutôt que de se séparer, et ne cesseroient de défendre avec fureur l'objet de leurs vives jouissances.

Cet accouplement, plus ou moins prolongé, est aussi répété plus ou moins fréquemment pendant le temps des chaleurs, soit que le hasard ramène le même mâle auprès de la même femelle, on qu'il les unisse avec de nouveaux individus. Dans cette espèce sanguinaire, le mouvement qui entraîne le mâle vers sa femelle n'a en effet aucune constance; il passe avec le besoin qui l’a produit; et le requin, rendu bientôt à ses affreux appétits, moins susceptible encore de tendresse que le tigre le plus féroce, ne connoissant ni femelle, ni famille, ni semblable, redevenu le dépopulateur des mers, et véritable image de la tyrannie, ne vit plus que pour combattre, mettre à mort, et anéantir.

Ces divers accouplements fécondent successivement une assez grande quantité d'œufs qui éclosent à différentes époques dans le ventre de la mère; et de ces développements commencés après des temps inégaux, il résulte que même encore, vers la fin de l’été, la femelle donne le jour à des petits. On sait que ces petits sortent du ventre de leur mère, au nombre de deux ou de trois à la fois, plus fréquemment que les jeunes raies; on a même écrit que ceux de ces squales qui venoient ensemble à la lumière, étoient souvent en nombre plus grand que trois ou quatre : mais la longue durée de la saison pendant laquelle s'exécutent ces sorties successives de jeunes requins, a empêché de savoir avec précision quel nombre de petits une femelle pouvoit mettre au jour pendant un printemps ou un été. Des observations assez multipliées et faites avec exactitude paroissent néanmoins prouver que ce nombre est plus considérable qu'on ne l'a pensé jusqu'à présent; et l'on n'en sera pas étonné, si l'on rappelle ce que nous avons dit de la fécondité des grandes espèces de poissons, supérieure en général à celle des petites, quoiqu'un rapport contraire ait été reconnu dans les quadrupèdes à mamelles, et que plusieurs grands naturalistes aient été tentés de le généraliser.

Je ne serois point éloigné de croire, d'après la comparaison de plusieurs relations qui m'ont été envoyées, que ce nombre va quelquefois au-delà de trente. J'ai même reçu une lettre du citoyen Odiot de Saint-Léger, qui m’a assuré* avoir aidé à pêcher un requin de plus de trois mètres, ou d'environ dix pieds, de longueur, et dans le corps duquel il avoit trouvé une quarantaine d'oeufs ou de petits squales et cette même lettre fait mention de l'assertion d'un autre marin, qui a dit avoir vu prendre dans la rade du fort appelé alors Fort Dauphin, auprès du Cap françois (Isle de Saint-Domingue), une femelle de requin, dans le ventre de laquelle il compta, ainsi que plusieurs autres personnes, quarante-neuf œufs, ou squales déjà sortis de leur enveloppe.
* Lettre du du 2 Juillet 1793.

Il arrive quelquefois que les femelles se débarrassent de leurs œufs avant qu'ils soient assez développés pour éclore; mais, comme cette expulsion prématurée a lieu moins souvent pour les requins et les autres squales que pour les raies, on a connu la forme des œufs des premiers plus difficilement que celle des œufs des raies. Ces enveloppes, que l'on a prises pendant longtemps, ainsi que celles des jeunes raies, non pas pour de simples coques, mais pour des animaux particuliers, présentent presque entièrement la même substance, la même couleur, et la même forme, que les œufs des raies; mais leurs quatre angles, au lieu de montrer de courtes prolongations, sont terminés par des filaments extrêmement déliés, et si longs, que nous en avons mesuré de cent sept centimètres (près de quarante pouces) de longueur, dans les coins d'une coque qui n'avoit que huit centimètres dans sa plus grande dimension * **.
* Nous avons fait graver un dessin d'œuf de roussette. L'enveloppe de ce squale est presque en tout semblable à celle du requin.
** Les anciens ont écrit que des poissons, et  surtout les requins, aussi bien que quelques autres espèces de squales, recevoient dans leur estomac leurs petits, lorsque la crainte de quelque danger les obligeoit à se cacher, et qu'ils les rendoient ensuite sans être endommagés. Rondelet dit avoir trouvé dans l'estomac d'un squale-renard plusieurs petits encore vivants, et il en déduit une nouvelle preuve en faveur du sentiment des anciens. Il condamne même comme une erreur la persuasion où étoient les pêcheurs, que ces poissons dévoient servir de nourriture aux gros; et croyant prévenir toutes les objections, il ajoute que la longueur de la queue n'est point un obstacle à l'introduction des petits dans l'estomac des gros, cette partie étant alors très-souple, susceptible de se plier en tout sens, et n'ayant point encore acquis cette roideur qu'on observe dans les grands poissons. Gesner, Aldrovande et Ray, en répétant l'opinion de Rondelet, qui est celle des anciens, ont paru lui donner un certain degré de vraisemblance. Willis s'efforce de la rendre probable (Descript. anatomique de l'émissole); mais Broussonet la combat et la rejette comme une erreur (Voyez les Mémoires de l'académie des sciences, année 1780, et le Journal de physique du mois de janvier 1785, pag.54).

Cependant un savant très estimable, feu le docteur Hermann de Strasbourg, a entrepris de la défendre, il se fonda sur des observations faites aux Indes par M. John , et que Bloch lui avoit adressées. Les silures, suivant ces observations, cachent leurs œufs et leurs petits dans la bouche, chose, dit M. John, généralement connue aux Indes, et les pêcheurs trouvant très souvent tout à la fois des œufs et des petits dans la bouche de ces silures, s'imaginent que c'est par-là qu'ils les mettent au monde. Il semble, ajoute l'observateur, que c'est pour la sûreté de leur progéniture, et pour la mettre à l'abri des animaux voraces, que la Nature a doué ces poissons d'un pareil instinct; instinct particulier et presque unique; car nous savons que presque généralement les poissons n'ont aucun soin de leurs petits; mais que les espèces carnivores de cette classe avalent indistinctement les petits individus, sans en excepter ceux auxquels ils ont donné la vie. Le docteur Hermann s'appuie de cette observation pour confirmer le sentiment des anciens au sujet des squales, sentiment qu'il avoit déjà adopté dans ses Tables d'affinité, pag.3oo ; et il en conclut que le fait rapporté sur ces poissons n'est pas fabuleux, comme Broussonet voudroit le faire penser (Voyez la Lettre de J. Hermann à Millin , dans le Magasin encyclopédique, tom.1, 1766, pag. 290). Ceci prouve que l'on est encore bien loin de connoître toutes les opérations de la Nature, qu'il est plus intéressant d'observer que d'en faire des sujets de dissertation.
(Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

Lorsque le requin est sorti de son œuf, et qu'il a étendu librement tous ses membres, il n'a encore que près de deux décimètres, ou quelques pouces, de longueur; et nous ignorons quel nombre d'années doit s'écouler avant qu'il présente celle de dix mètres, ou de plus de trente pieds. Mais à peine a-t-il atteint quelques degrés de cet immense développement , qu'il se montre avec toute sa voracité. li n'arrive que lentement, et par des différences très nombreuses, au plus haut point de sa grandeur et de sa puissance ; mais il parvient, pour ainsi dire, tout d’un coup à la plus grande intensité de ses appétits véhéments; il n'a pas encore une masse très étendue à entretenir, ni des armes bien redoutables pour exercer ses fureurs, et déjà il est avide de proie : la férocité est son essence et devance sa force.

Quelquefois le défaut d'aliments plus substantiels l'oblige à se contenter de sépies, de mollusques, ou d'autres vers marins: mais ce sont les plus grands animaux qu'il recherche avec le plus d'ardeur*; et, par une suite de la perfection de son odorat, ainsi que de la préférence qu'elle lui donne pour les substances dont l'odeur est la plus exaltée, il est surtout très-empressé de courir partout où l'attirent des corps morts de poissons ou de quadrupèdes, et des cadavres humains**.
* Les phoques, les thons et les morues sont les animaux qu'il recherche de préférence. (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

** Le requin a, dit-on, l'odorat si fin, qu'on peut l'attirer de quatre, cinq et même six lieues avec quelques lambeaux de chair en putréfaction. Les Islandais ont coutume d'attacher à leurs canots une chaîne terminée par un gros crochet, auquel tient pour appât une tête de veau marin ou un sac plein de charogne.
Le sens de l’ouïe n'est pas moins délicat dans le requin que celui de l'odorat; dès qu'il entend la voix des hommes, il sort des profondeurs de la mer, et approche des vaisseaux et des canots. C'est par cette raison que les navigateurs ne voient de ces poissons que pendant les calmes, le bruit des vents et des vagues ne les empêche point alors de recevoir les impressions du son ni les émanations odorantes : aussi, lorsque les naturels du Groenland naviguent avec leurs frêles canots formés de peau de requin, et où un seul homme peut se tenir, ils observent le plus grand silence dans les endroits fréquentés par les requins, dans la crainte de devenir les victimes de ces animaux féroces. (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

Il s'attache, par exemple, aux vaisseaux négriers, qui, malgré les lumières de la philosophie, la voix du véritable intérêt, et le cri plaintif de l’humanité outragée, partent encore des côtes de la malheureuse Afrique. Digne compagnon de tant de cruels conducteurs de ces funestes embarcations, il les escorte avec constance, il les suit avec acharnement jusques dans les ports des colonies américaines, et, se montrant sans cesse autour des bâtiments, s'agitant à la surface de l'eau, et, pour ainsi dire, sa gueule toujours ouverte, il y attend, pour les engloutir, les cadavres des noirs qui succombent sous le poids de l’esclavage, ou aux fatigues d'une dure traversée. On a vu un de ces cadavres de noir, pendre au bout d'une vergue élevée de plus de six mètres (vingt pieds) au dessus de l'eau de la mer, et un requin s'élancer à plusieurs reprises vers cette dépouille, y atteindre enfin, et la dépecer sans crainte membre par membre*.
* manuscript de Commerson

Quelle énergie dans les muscles de la queue et de la partie postérieure du corps ne doit-on pas supposer, pour qu'un animal aussi gros et aussi pesant puisse s'élever comme un trait à une aussi grande hauteur! Quelle preuve de la force que nous avons cru devoir lui attribuer! Comment être surpris maintenant des autres traits de l'histoire de la voracité des requins?

Et tous les navigateurs ne savent-ils pas quel danger court un passager qui tombe dans la mer, auprès des endroits les plus infestés par ces animaux? S'il s'efforce de se sauver à la nage, bientôt il se sent saisi par un de ces squales, qui l'entraîne au fond des ondes. Si l'on parvient à jeter jusqu'à lui une corde secourable, et à l'élever au dessus des flots, le requin s'élance et se retourne avec tant de promptitude, que, malgré la position de l'ouverture de sa bouche au dessous de son museau, il arrête le malheureux qui se croyait près de lui échapper, le déchire en lambeaux, et le dévore aux yeux de ses compagnons enragés. Oh ! quels périls environnent donc la vie de l'homme, et sur la terre, et sur les ondes! Et pourquoi faut-il que ses passions aveugles ajoutent à chaque instant à ceux qui le menacent?

On a vu quelquefois cependant des marins surpris par le requin au milieu de l’eau, profiter, pour s'échapper, des effets de cette situation de la bouche de ce squale dans la partie inférieure de sa tète, et de la nécessité de se retourner, à laquelle cet animal est condamné par cette conformation, lorsqu'il vent saisir les objets qui ne sont pas placés au dessous de lui.

C'est par une suite de cette même nécessité que lorsque les requins s'attaquent mutuellement, (car comment des êtres aussi atroces, comment les tigres de la mer, pourroient-ils conserver la paix entre eux?) ils élèvent au dessus de l'eau, et leur tête , et la partie antérieure de leur corps; et c'est alors que, faisant briller leurs yeux sanguinolents et enflammés de colère, ils se portent des coups si terribles, que, suivant plusieurs voyageurs, la surface des ondes en retentit au loin*.
* Voyez particulièrement Bosman, dans sa Description de la Guinée.

Un seul requin a suffi, près du banc de Terre-Neuve, pour déranger toutes les opérations relatives à la pêche de la morue, soit en se nourrissant d'une grande quantité des morues que l'on avoit prises, et en éloignant plusieurs des autres, soit en mordant aux appâts, et en détruisant les lignes disposées par les pêcheurs.

Mais quel est donc le moyen que l'on peut employer pour délivrer les mers d'un squale aussi dangereux? Il y a sur les côtes d'Afrique des nègres assez hardis pour s'avancer en nageant vers un requin, le harceler, prendre le moment où l'animal se retourne, et lui fendre le ventre avec une arme tranchante*.
* Quoique la plupart des voyageurs en Afrique aient parlé de l'attaque du requin à main armée par les nègres comme d'un fait certain, il vient d'être démenti par un voyageur moderne dans les mêmes contrées. De Grandpré assure que c'est un conte. "Il est faux, dit-il, que les noirs de la côte de Guinée aient le talent de combattre et de vaincre le requin à la nage: ce monstre est d'une force, d'une agilité qui lui donnent sur les hommes une telle supériorité dans son élément, qu'il n'en voit jamais sans en faire sa proie. Les noirs, quoique assez bons nageurs, sont d'ailleurs si peu courageux, que, loin de chercher à l'attaquer, ils redoutent au contraire de s'exposer à le rencontrer". Voyage à la côte occidentale d'Afrique tome I, pag. 37). D'après les relations du capitaine Dixon, les naturels des îles Sandwich ne craignent point les requins, et les femmes mêmes qui nagent, ainsi que les hommes, avec une agilité surprenante, ne sont nullement intimidés à l'approche d'un de ces grands animaux. Les anglais virent souvent de ces insulaires s'élancer de leurs pirogues dans la mer pour en retirer des entrailles de cochons que nos matelots y avoient jetées, au moment même où un requin cherchoit à s'en emparer. (Voyage autour du monde, traduct. franc, tom. II, pag. 105). (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

Mais, dans presque toutes les mers, on a recours à un procédé moins périlleux pour pêcher le requin. On préfère un temps calme; et sur quelques rivages, comme, par exemple, sur ceux d’Islande*, on attend les nuits les plus longues et les plus obscures. On prépare un hameçon garni ordinairement d'une pièce de lard, et attaché à une chaîne de fer longue et forte. Si le requin n'est pas très affamé, il s'approche de l'appât, tourne autour, l'examine, pour ainsi dire, s'en éloigne, revient, commence de l'engloutir, et en détache sa gueule déjà ensanglantée. Si alors on feint de retirer l'appât hors de l'eau, ses appétits se réveillent, son avidité se ranime, il se jette sur l'appât, l'avale goulûment, et veut se replonger dans les abymes de l’Océan. Mais comme il se sent retenu par la chaîne, il la tire avec violence, pour l'arracher et l'entraîner : ne pouvant vaincre la résistance qu'il éprouve, il s'élance, il bondit, il devient furieux et, suivant plusieurs relations**, il s'efforce de vomir tout ce qu'il a pris, et de retourner, en quelque sorte, son estomac. Lorsqu'il s'est débattu pendant longtemps et que ses forces commencent à être épuisées, on tire assez la chaîne de fer vers la côte ou le vaisseau pêcheur, pour que la tète du squale paroisse hors de l'eau ; on approche des cordes avec des nœuds coulants, dans lesquels on engage son corps, que l'on serre étroitement, sur-tout vers l'origine de la queue ; et après l'avoir ainsi entouré de liens, ou l'enlève et on le transporte sur le bâtiment ou sur le rivage, où on n'achève de le mettre à mort qu'en prenant les plus grandes précautions contre sa terrible morsure et les coups que sa queue peut encore donner. Au reste, ce n'est que difficilement qu'on lui ôte la vie; il résiste sans périr à de larges blessures; et lorsqu'il a expiré, on voit encore pendant longtemps les différentes parties de son corps donner tous les signes d'une grande irritabilité***.
* Anderson, Histoire naturelle du Groenland, de l'Islande, etc.
** Labat, Voyage en Afrique et en Amérique

*** L'on a vu des requins pris au croc (...), se donner de si vives secousses, qu'ils parvenôient à se dégager en laissant une portion de leur mâchoire. Mais, ce qui paroîtroit incroyable, si l'on ne connoissoit l'affreuse voracité de ces poissons, est ce que raconte Pernetty dans son Voyage aux îles Malouines, tom. I, pag. 101. Un requin avoit, en se décrochant, rompu une pièce de sa mâchoire, qui resta avec la viande dont on avoit couvert l’hameçon. Sans s'étonner ni se rebuter de cet échec, le même requin ayant aperçu l'appât qu'on lui jeta de nouveau, s'élança sur lui, et dévora et le lard et le morceau de sa propre mâchoire, sans être retenu par le crochet, et il revint une troisième fois à la charge. Pendant ces manœuvres d'une insatiable gloutonnerie, on tira plusieurs coups de fusil sur cet animal si prodigieusement vorace ; mais, soit que la balle fût mal dirigée, soit qu'elle ne pénétrât pas les chairs, il n'en fut point troublé, et continua à roder autour de l'appât. Les hameçons que les naturels des îles Sandwich, destinent à la pêche du requin, sont faits de bois et très-grands. (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

La chair du requin est dure, coriace, de mauvais goût, et difficile à digérer. Les nègres de Guinée, et particulièrement ceux de la cote d'Or, s'en nourrissent cependant, et ôtent à cet aliment presque toute sa dureté en le gardant très-longtemps. On mange aussi sur plusieurs côtes de la Méditerranée les très- petits requins que l'on trouve dans le ventre de leur mère, et près de venir à la lumière; et l'on n'y dédaigne pas quelquefois le dessous du ventre des grands requins , auquel on fait subir diverses préparations pour lui ôter sa qualité coriace et son goût désagréable. Cette même chair du bas ventre est plus recherchée dans plusieurs contrées septentrionales, telles que la Norwège et l'Islande, où on la fait sécher avec soin, en la tenant suspendue à l'air pendant plus d'une année. Les Islandois font d'ailleurs un grand usage de la graisse du requin: comme elle a la propriété de se conserver long-temps et de se durcir en se séchant, ils s'en servent à la place du lard de cochon, ou la font bouillir pour en tirer de l’huile. Mais c'est surtout le foie du requin qui leur fournit cette huile qu'ils nomment thran, et dont un seul foie peut donner un grand nombre de litres ou pintes* **.
* Suivant Pontoppidam, auteur d'une Histoire naturelle de la Norvège, le foie d'un squale de vingt pieds de longueur fournit communément deux tonnes et demie d'huile.

** La chair du requin se compose de deux couches, dont l'extérieure est rouge et tendre, et la seconde blanche et moins tendre (Histoire naturelle des poissons par Bloch ; Histoire de la lamie); mais ni l'une ni l'autre de ces couches n'est mangeable que pour des hommes affamés, peu délicats, ou privés depuis longtemps d'aliments frais. Les matelots, réduits à ne vivre que de salaisons, trouvent quelquefois un régal dans un plat de requin, et les marins anglais, qui font avec ce poisson ce qu'ils appellent un chouder ne le trouvent pas mauvais. Quant à moi, à quelque sauce qu'on l'eut apprêté, il m'a toujours paru de fort
mauvais goût, et d'aussi mauvaise odeur.

Un certain Archestratus dans Athénée, plaint fort ceux auxquels le requin inspire du dégoût, parce que ce squale mange les hommes; il vante, comme un morceau très délicat, le ventre de ce poisson, et il enseigne la manière de l'accommoder, Je doute fort néanmoins qu'avec tout l'assaisonnement que prescrit Archestratus, l'on fasse jamais un bon mets d'aucune des parties du requin. Mais, comme les goûts des différents peuples de la terre ne se ressemblent pas plus que leur physionomie, le requin, tout mauvais qu'il nous paroît, est un aliment agréable pour les naturels des îles Sandwich.

Dans les régions du nord comme en Islande, au Groenland, etc., on ne mange la chair du requin que lorsqu'elle est à demi-putréfiée, ce qui ne doit pas la rendre ni plus ragoûtante ni d'une saveur plus agréable. Aussi Othon Fabricius (Faun. groenland. pag. 129) observe-t-il que les groenlandais, quoiqu'en général fort peu délicats, ne font pas tous usage de cet aliment.

Il est même des circonstances où la chair du requin peut contracter une qualité malfaisante et même vénéneuse ; l'on en a plusieurs exemples, parmi lesquels j'en citerai un récent. Les papiers publics de Londres, du 22 juillet 1802, rendirent compte d'un accident arrivé à l'équipage du navire le Reward, capitaine Leach, revenant de la Jamaïque. Sept hommes avoient péri pendant la traversée pour avoir mangé du requin, et principalement du foie de ce poisson. Plusieurs d'entre eux étoient devenus fous avant de mourir.

Mais cette chair de requin, mauvaise et quelquefois dangereuse comme aliment, coupée par morceaux, est un excellent appât pour la pêche des autres poissons, et surtout pour celle des crabes et des écrevisses, il suffit, pour prendre ces derniers, de plonger dans l'eau des paniers où l'on met des morceaux de requin.

En Norvège on prépare avec la peau du requin un cuir qui sert à faire des harnois de chevaux; en Irlande on en fait des souliers; au Groenland on polit avec cette peau les bâtons des tentes, et l'on en fait des sacs pour renfermer le lard des phoques.

Le seul avantage de quelque valeur que produise la pêche des requins est l'huile qu'on retire de leur foie. Cette huile, qui s'emploie dans les manufactures, particulièrement dans les tanneries et sert à brûler, a été souvent d'un grand secours aux navigateurs qui, dans des voyages de long cours, avoient consommé leurs provisions, pour éclairer l'habitacle. (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

On a écrit que la cervelle des requins, séchée et mise en poudre, étoit apéritive et diurétique. On a vanté les vertus des dents de ces animaux, également réduites en poudre, pour arrêter le cours du ventre, guérir les hémorrhagies, provoquer les urines, détruire la pierre dans la vessie; et ce sont ces mêmes dents de requin qui, enchâssées dans des métaux plus ou moins précieux, ont été portées en amulettes, pour calmer les douleurs de dents, et préserver du plus grand des maux, de celui de la peur. Ces amulettes ont entièrement perdu leur crédit, et nous ne voyons aucune cause de différence entre les propriétés de la poudre des dents ou de la cervelle des requins, et celles de la cervelle desséchée ou des dents broyées des autres poissons.






Malgré les divers usages auxquels les arts emploient la peau du requin, ce squale seroit donc peu recherché dans les contrées où un climat tempéré, une population nombreuse, et une industrie active, produisent en abondance des aliments sains et agréables, si sa puissance n'étoit pas très-dangereuse. Lorsqu'on lui tend des pièges, lorsqu'on s'avance pour le combattre, ce n'est pas uniquement une proie utile que l'on cherche à saisir, mais un ennemi acharné que l'on veut anéantir. Il a le sort de tout ce qui inspire un grand effroi : on l'attaque dès qu'on peut espérer de le vaincre; on le poursuit, parce qu'on le redoute; il périt, parce qu'il peut donner la mort : et telle est en tout la destinée des êtres dont la force paroît en quelque sorte sans égale. De petits vers, de foibles ascarides, tourmentent souvent dans son intérieur le plus énorme requin; ils déchirent ses entrailles sans avoir rien à craindre de sa puissance. D'autres animaux presque autant sans défense relativement à sa force, des poissons mal armés, tels que l’echene rémora, peuvent aussi impunément s'attacher à sa surface extérieure. Presque toujours, à la vérité, sa peau dure et tuberculeuse l'empêche de s'appercevoir de la présence de ces animaux : mais si quelquefois ils s'accrochent à quelque partie plus sensible, le requin fait de vains efforts pour échapper à la douleur; et le poisson qui n'a presque reçu aucun moyen de nuire, est pour lui au milieu des eaux ce que l'aiguillon d'un seul insecte est pour le tigre le plus furieux au milieu des sables ardents de l'Afrique.

Les requins de dix mètres, ou d'un peu plus de trente pieds, de longueur, étant les plus grands des poissons qui habitent la mer méditerranée, et surpassant par leurs dimensions la plupart des cétacées que l'on voit dans ses eaux, c'est vraisemblablement le squale dont nous essayons de présenter les traits, qu'ont eu en vue les inventeurs des mythologies, ou les auteurs des opinions religieuses adoptées par les Grecs et par les autres peuples placés sur les rivages de cette même mer. Il paroît que c'est dans le vaste estomac d'un immense requin qu'ils ont annoncé qu'un de leurs héros ou de leurs demi-dieux avoit vécu pendant trois jours et trois nuits; et ce qui doit faire croire d'autant plus aisément qu'ils ont dans leur récit voulu parler de ce squale, et qu'ils n'ont désigné aucun des autres animaux marins qu'ils comprenoient avec ce poisson sous la dénomination générale de cete, c'est que l'on a écrit qu'un très-long requin pouvoit avoir l'œsophage et l'estomac assez étendus pour engloutir de très-grands animaux sans les blesser, et pour les rendre encore en vie à la lumière.

Les requins sont très-répandus dans toutes les mers. Il n'est donc pas surprenant que leurs dépouilles pétrifiées, et plus ou moins entières, se trouvent dans un si grand nombre de montagnes et d'autres endroits du globe autrefois recouverts par les eaux de l'Océan. On a découvert une de ces dépouilles, presque complète, dans l'intérieur du Montébolca, montagne volcanique des environs de Vérone, célèbre par les pétrifications de poissons qu'elle renferme, et qui, devenue depuis le dix-huitième siècle l'objet des recherches de savants Véronois, leur a fourni plusieurs collections précieuses*, et particulièrement celle que Ton a duc aux soins  éclairés de M. Vincent Bozza et du comte Jean-Baptiste Gazola. C'est à cette dernière collection qu'appartient ce requin pétrifié qui a près de sept décimètres (vingt-cinq pouces six lignes) de longueur, et dont on peut voir la figure dans l’Ichtyologie Veronoise, bel ouvrage que publie dans ce moment une société de physiciens de Vérone.
* Deux de ces riches collections, formées l'une par l'illustre marquis Scipion Mafféi et l'autre par M. Jean-Jacques Spada, ont appartenu au célèbre Seguier de Nîmes, et ont été dans le temps transportées dans cette dernière ville.

Mais il est rare de voir, dans les différentes couches du globe , des restes un peu entiers de requin; on n'en trouve ordinairement que des fragments; et celles des portions de cet animal qui sont répandues presque dans toutes les contrées, sont ses dents amenées à un état de pétrification plus ou moins complet. Ces parties sont les substances les plus dures de toutes celles qui composent le corps du requin; il est donc naturel qu'elles soient les plus communes dans les couches de la terre. Les premières dont les naturalistes se soient beaucoup occupés avoient été apportées de l'Isle de Malte, où l'on en voit en très- grande quantité; et comme ces corps pétrifiés, ou ces espèces de pierres d'une forme extraordinaire pour beaucoup de personnes, se sont liés, dans le temps et dans beaucoup de têtes, avec l'histoire de l'arrivée de saint Paul à Malte, ainsi qu'avec la tradition de grands serpents qui infestoient cette isle, et que cet apôtre changea en pierres, on a voulu retrouver dans ces dents de requin les langues pétrifiées des serpents métamorphosés par saint Paul. Cette erreur, comme toutes celles qui se sont mêlées avec des idées religieuses, a même été assez générale pour faire donner à ces parties de requin un nom qui rappelât l'opinion que l'on avoit sur leur origine; et on les a distinguées par la dénomination de glossopètres, qui signifie langues de pierre ou pétrifiées. Il auroit été plus convenable de les appeler, avec quelques auteurs, odontopètres, c'est-à-dire dents pétrifiées, ou ichtyodontes, qui veut dire dents de poisson, ou encore mieux, lamiodontes, dents de lamie ou requin*.
* L'on ne trouve peut-être nulle part une plus grande quantité de glossopètres qu'à Malte et en Sicile: j'y en ai vu de très-grandes et dont la base approchoit de la largeur de la main. M. Pallas a vu des glossopètres de toutes grandeurs et d'un noir bleuâtre, sur les rives du grand et du petit Souvarisch en Sibérie, dans une argile bleue, sablonneuse et dure (Voyage en Russie et dans l'Asie septentrionale, tom. II , in-4° de la traduction franc. p. 404), Bartram a découvert aussi des dents pétrifiées de requin en Géorgie, près de Savannah (Voyage dans les parties sud de l'Amérique septentrionale, traduct. franc, tom. II, p. 85). (Note de Charles-Sigisbert Sonnini - édition 1803).

Au reste, on remarque, dans quelques cabinets, de ces dents de requin, ou lamiodontes, pétrifiées, d'une grandeur très considérable. Et comme lorsqu'on a su que ces dépouilles avoient appartenu à un requin, on leur a attribué les mêmes vertus chimériques qu'aux dents de cet animal non pétrifiées, et non fossiles, on voit pourquoi plusieurs muséum présentent de ces lamiodontes enchâssées avec art dans de l'argent ou du cuivre, et montées de manière à pouvoir être suspendues et portées au cou en guise d'amulettes.

Il y a dans le Muséum national d'histoire naturelle, une très-grande dent fossile et pétrifiée qui réunit à un émail assez bien conservé tous les caractères des dents de requin. Elle a été trouvée aux environs de Dax, auprès des Pyrénées, et envoyée dans le temps au muséum par M. de Borda. J'ai mesuré avec exactitude la partie émaillée qui, dans l'animal vivant, paroissoit hors des alvéoles. J'ai trouve que le plus grand coté du triangle formé par cette partie émaillée avoit cent quinze millimètres (quatre pouces trois lignes) de longueur : la note suivante* indiquera les autres dimensions.
* [Lacépède donne les mesures de la partie émaillée de la dent: longueur 8,2cm, largeur 9 cm].

J'ai désiré de savoir quelle grandeur on pouvoit supposer dans le requin auquel cette dent a appartenu. J'ai, en conséquence, pris avec exactitude la mesure des dents d'un grand nombre de requins parvenus à différents degrés de développement. J'ai comparé les dimensions de ces dents avec celles de ces animaux. J'ai vu qu'elles ne croissoient pas dans une proportion aussi grande que la longueur totale des requins, et que, lorsque ces squales avoient obtenu une taille un peu considérable, leurs dents étoient plus petites qu'on no l'auroit pensé d'après celles des jeunes requins. On ne pourra déterminer la loi de ces rapports que lorsqu'on aura observé plusieurs requins beaucoup plus près du dernier terme de leur croissance, que ceux que j'ai examinés. Mais il me paroît déjà prouvé, par le résultat de mes recherches, que nous serons en deçà de la vérité, bien loin d'être au-delà, en attribuant au requin dont une des dents a été découverte auprès des Pyrénées, une longueur aussi supérieure à celle du plus grand côté de la partie émaillée de cette dent fossile, que la longueur totale d'un jeune requin que j'ai mesuré très-exactement, l'emportoit sur le côté analogue de ses plus grandes dents. Ce côté analogue avoit dans le jeune requin cinq millimètres de long, et l'animal en avoit mille. Le jeune requin étoit donc deux cents fois plus long que le plus grand côté de la partie émaillée de ses dents les plus développées. On doit donc penser que le requin dont une portion de la dépouille a été trouvée auprès de Dax, étoit au moins deux cents fois plus long que le plus grand côté de la partie émaillée de sa dent fossile. Nous venons de voir que ce côté avoit cent quinze millimètres de longueur: on peut donc assurer que le requin étoit long au moins de vingt-trois mille millimètres, ou, ce qui est la même chose, de vingt-trois mètres (soixante-dix pieds neuf pouces). Maintenant, si nous déterminons les dimensions que sa gueule devoit présenter, d'après celles que nous a montrées la bouche d'un nombre très-considérable de requins de dilTéreutes tailles, nous verrons que le contour de sa mâchoire supérieure devoit être au moins de treize pieds trois pouces (quatre cent vingt-huit centimètres); et comme les parties molles qui réunissent les deux mâchoires peuvent se prêter à une assez grande extension, on doit dire que la circonférence totale de l'ouverture de la bouche étoit au moins de vingt-six pieds, et que cette même ouverture avoit près de neuf pieds de diamètre moyen.

Quel abyme dévorant ! Quelle grandeur, quelles armes, quelle puissance présentoit donc ce squale géant qui exerçoit ses ravages au milieu de l'Océan, à cette époque reculée au-delà des temps historiques, où la mer couvroit encore la France, ou, pour mieux dire, la Gaule méridionale, et baignoit de ses eaux les hautes sommités de la chaîne des Pyrénées! Et que l'on ne dise pas que cet animal remarquable étoit de la famille ou du genre des squales, mais qu'il appartenoit à une espèce différente de celle des requins de nos jours. Tout oeil exercé à reconnoître les caractères distinctifs des animaux, et surtout ceux des poissons, verra aisément sur la dent fossile des environs de Dax, non seulement les traits de la famille des squales, mais encore ceux des requins proprement dits. Et si, rejetant des rapports que l'on regardoit comme trop vagues, on vouloit rapporter cette dent de Dax à un des squales dont nous allons nous occupper, on l'attribueroit à une espèce beaucoup plus petite maintenant que celle du requin, et on ne feroit qu'augmenter l'étonnement de ceux qui ne s'accoutument pas à supposer vingt-trois mètres de longueur dans une espèce dont on ne voit aujourd’hui que des individus de dix mètres.

Au reste, dans ces parties de l'Océan que ne traversent pas les routes du commerce, et dont les navigateurs sont repoussés par l’âpreté du climat, ou par la violence des tempêtes, ne pourroit-on pas trouver d'immenses requins qui, ayant joui dans ces parages écartés d'une tranquillité aussi parfaite, ou, pour mieux dire, d'une impunité aussi grande, que ceux qui infestoient, il y a plusieurs milliers d'années, les bords des Pyrénées, y auroient vécu assez long-temps pour y atteindre au véritable degré d'accroissement que la nature a marqué pour leur espèce? Quoi qu'il en soit, il n'est pas indifférent pour l'histoire des révolutions du globe, de savoir que les animaux marins dont on trouve la dépouille fossile aux environs de Dax, étoient de véritables requins, et avoient plus de soixante-dix pieds de longueur.


Le requin blanc et le requin pélerin. Planche de l'édition de 1830.

Le requin. Illustration de Histoire naturelle tirée de Buffon et Lacépède (1874).


l'Histoire naturelle des poissons (1798) consultable sur archive.org
l'Histoire naturelle générale et particulière des poissons (1803) consultable sur archive.org
l'Histoire naturelle des poissons (1830) consultable sur archive.org

27 février 2016

1788 - Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature (Bonnaterre)

L'Abbé Pierre Joseph Bonnaterre (1752-1804) naturaliste français, a participé à la rédaction de la partie Ichtyologique du Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature, une grande collection illustrée traitant de l’histoire naturelle ; plantes, animaux et minéraux, parue entre 1788 et 1792.

Ces différents volumes sont considérés comme des éléments de l’Encyclopédie méthodique (voir ici), même si ils ont été publiés et intitulés différemment avec la contribution de plusieurs auteurs, dont Lamarck et Daubenton.

Bonnaterre y reprend la classification de Linné, tout en la complétant des nouvelles espèces découvertes. Il classe et recense ainsi 31 espèces de requins - toujours appelés Chiens de mer - en fait une brève description et les range dans le troisième genre des poissons cartilagineux. L'illustration du Squalus carcharias, ainsi que celles des autres requins sont reprises d'après le livre de Marcus Bloch.




Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature consultable sur archive.org 
un peu plus sur Bonnaterre sur ce site

22 février 2016

1787 - Encyclopédie méthodique - Histoire Naturelle

La publication de l'Encyclopédie méthodique démarre en 1782 et s'échelonne jusqu'en 1832. Elle comporte au final 210 volumes (32 volumes pour l'Histoire Naturelle) mettant à contribution plus d'un millier d'auteurs. Elle s'inspire de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert tout en essayant de la compléter et d'en améliorer la synthèse.

Dans le tome 3, nous trouvons les poissons cartilagineux.



Page 388, nous trouvons également deux définitions intéressantes.
- Taupe de mer : c'est ainsi qu'on nomme quelquefois le requin.
- Touille : c'est l'un des noms qu'on a donné au requin.


18 février 2016

1785 - Ichtyologie ou Histoire naturelle, générale et particulière des poissons (Bloch)

Le médecin et naturaliste allemand Marcus Elieser Bloch (1723-1799) publie dès 1785 une encyclopédie ichtyologique admirablement illustrée Oekonomische Naturgeschichte der Fische Deutschlands, décrivant les poissons d'Allemagne, suivi d'une deuxième partie Naturgeschichte der Ausländischer Fische sur les poissons des autres régions du monde.


Une édition française parait simultanément en 1785, traduite par Jean Charles Thiébault de Laveaux sous le titre Ichtyologie ou Histoire naturelle, générale et particulière des poissons.

Bloch divise les poissons en trois classes différentes, décrit de nouvelles espèces mais ne cite qu'une petite dizaine de requins. Le requin blanc y est présent sous son nom menaçant de poisson anthropophage, le Menschenfresser, soit mangeur d'hommes. Alors que les illustrations tout en couleurs des autres poissons sont remarquables et anatomiquement assez fidèles, Squalus carcharias perpetue sa légende de créature insaisissable et toujours mal documentée. Il est ici illustré en Chien de mer typique du moyen âge, aux yeux verts, ce qui lui donne plus l'aspect d'une roussette passablement hargneuse qu'un vrai lamnidé.

Bloch le reconnait lui même à la fin de son texte "j'approuve entièrement Klein quand il dit que nous n'avons pas encore eu un bon dessin de ce poisson".











Naturgeschichte der Ausländischer Fische (Berlin 1785) consultable sur archive.org

Ichtyologie ou Histoire naturelle, générale et particulière des poissons (édition française de 1785 traduite par Jean Charles Thiébault de Laveaux) consultable sur archive.org

Histoire Naturelle des Poissons selon Bloch (nouvelle édition française de 1801, réarrangée selon le système de Linné par Castel) consultable sur archive.org


17 février 2016

1780 - Mémoire sur les différentes espèces de Chiens de mer (Broussonet)

Pierre Marie Auguste Broussonet (1761-1807), médecin et naturaliste français, a rédigé un très intéressant Mémoire sur les différentes espèces de Chiens de mer publié en 1780. Il porte à 27 le nombre de requins recensés, les classe, les commente et les décrit avec une clairvoyante prose post-Linnéenne.

Broussonet est assez sévère envers ses prédécesseurs et les anciens naturalistes, et avec une certaine justesse il estime "combien est difficile l'art d'observer et combien une érudition mal entendue peut être nuisible en Histoire Naturelle".

Il projetait la rédaction d'une colossale Ichtyologie, à la manière d'Artedi, et avait présenté en ce sens un plan à l'Académie des Sciences en février 1785. Le nombre des espèces décrites s'élevait à 1200, mais l'ouvrage demeuré manuscrit n'a jamais pu être achevé.