Julian Ashton. Fight with a shark in Geelong Bay (1881, Melbourne).
Même si Jaws a beau atteindre tranquillement ses quarantes bougies, le concept de "requin tueur" qui rôde le long des côtes (le rogue shark comme l'appellent les Anglo-saxons) est toujours très à la mode.
Une fois encore l'histoire se répète ; une série d'accidents dans une même zone sur une période courte, et il n'en faut pas plus pour que l'Etat d'Australie Occidentale organise une traque au requin blanc "tueur" (voir ce report video de NBC). Une décision qui a de quoi surprendre de la part de ce pays, qui a inscrit le grand requin blanc au nombre des espèces à protéger, et qui devrait pourtant être au fait de la présence de requins sur ses côtes.
Revenons sur les événements :
Le 4 septembre dernier, un jeune bodyboarder est tué à Bunker Bay (250 km au sud de Perth).
Le 10 octobre, un nageur australien de 64 ans est porté disparu à Cottesloe Beach, une des plages de Perth. Seule sa combinaison de plongée a été retrouvée, portant des traces de morsures d'un grand squale.
Le 22 octobre, c'est un plongeur américain de 32 ans qui trouve la mort lors d'une session de chasse sous-marine près de Rottnest Island, à une vingtaine de kilomètres au large de Perth.
Pour l'Etat du Western Australia, 3 accidents mortels en 7 semaines, c'est effectivement de l'inédit.
D'ou un ruage dans les brancards ; le Premier ministre de l'Etat a ordonné l'organisation d'une chasse pour capturer LE squale coupable, un "catch and destroy" du supposé rogue shark.
Dès le 23 octobre, un repérage aerien et six lignes de pêche ont été installées. Mais jusque là le dispositif n'a rien donné...
... et ne donnera probablement rien.
Nous ne reviendrons pas une nouvelle fois sur l'inefficacité et l'inutilité de telles mesures, ni sur la théorie simpliste du rogue shark appliquée au grand requin blanc, qui n'a jamais pu être confirmée scientifiquement - elle est même largement réfutée, au vu des connaissances actuelles.
Par contre, en regardant de plus près ces trois accidents, on s'aperçoit que sur au moins 2 des cas, les conditions in situ étaient pour le moins hasardeuses.
Comme déjà reporté dans ce post, le bodyboarder de Bunker Bay était à l'eau dans des conditions que tout surfeur aguerri évaluerait comme optimum à une mauvaise rencontre : en eau trouble, par ciel couvert et pluie fine, avec une forte activité de la faune marine le matin (présence de baleine et dauphins), sans compter la colonie d'otarie présente à 800m du spot.
Le plongeur américain pratiquait le spearfishing (chasse sous-marine) apparemment seul. D'éventuels poissons blessés et/ou en détresse n'auront pas manqué d'attirer la curiosité de prédateurs. Rodney Fox pourrait en témoigner, le spearfishing en solo est une activité à haut risque dans une zone connue pour être patrouillée par le White Pointer (le nom australien du grand requin blanc), surtout à cette période de l'année ou les baleines effectuent leur migration le long de la côte ouest.
Il y a un an, à la même époque à Rottnest Island, la carcasse de l'une d'elle s'est retrouvée "recyclée" par quelques White Pointers comme on peut le voir dans cette vidéo (un évènement fréquent sur les côtes Californiennes et d'Afrique du Sud également) :
On peut se demander pourquoi dans ces conditions des opérateurs continuent-ils à emmener des touristes pratiquer la chasse sous-marine à cette périose dans la même zone ?
Reste le cas du nageur. Visiblement l'homme avait l'habitude de faire quelques brasses matinales sur cette plage. Les informations sont imprécises sur les conditions, mais il est de notoriété que se mettre à l'eau au lever ou au coucher du soleil, heures auxquelles les grands requins se mettent en chasse, est à proscrire.
Notons aussi que le grand requin blanc n'a pas encore été formellement identifié dans aucun des trois cas. Certains parlent déjà d'un requin tigre concernant l'accident de Rottnest Island.
Depuis une semaine, cette décision de traque au requin a provoqué un tollé certain.
Pour exemple, la réaction de la Fondation Rodney Fox par cette lettre qui rappelle que pour "réguler" il faudrait d'abord posséder des datas et des statistiques fiables sur les populations de requins blancs en Australie (données inconnues pour le moment), et qui met l'accent sur la fréquentation, en constante hausse, de l'homme en milieu marin, en corrélation directe avec les interactions hommes/requins.
Une pétition contre cette décision a également été mise en place : www.thepetitionsite.com/4/stop-the-shark-cull/
Pour rappel, et pour relativiser, l'ISAF (International Shark Attack Files) a répertorié pour l'Australie 52 accidents (dont 27 mortels) qui impliquent le grand requin blanc... depuis 1876.
→ voir la carte (fev. 2011).
→ lire aussi l'article (en anglais) de The Conservation
→ voir le report video d'ABC
→ les articles (en anglais) de The Australian du 23 et 24 octobre 2011